Interview du Dr. Catherine Gueguen – Partie II
Catherine Gueguen, pédiatre, s’est faite connaître du grand public grâce à deux ouvrages de référence publiés aux Editions Robert Laffont : « Pour une enfance heureuse – Repenser l’éducation à la lumière des neurosciences affectives » et « Vivre heureux avec son enfant ». Elle a récemment co-écrit « Développer les compétences psychosociales à l’école. Osons la Communication non violente » (Edition Canopé, éducation nationale, 2023).
Vous insistez sur le fait que les parents et les professionnels doivent materner les bébés. Et cela fait écho bien sûr à nos démarches pour expliquer l’importance du toucher, mais aussi de la voix, du regard dans nos relations aux enfants. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ? Et quel est le lien avec le fait d’apaiser ?
L’empathie c’est un travail sur les émotions
C’est toute l’attitude de l’adulte qui est fondamentale. C’est-à-dire que c’est d’abord aux adultes de comprendre ce que c’est l’empathie. Et je redis que l’empathie, c’est un travail sur les émotions. Si on n’est pas empathique vis-à-vis de soi-même, on ne va pas pouvoir être empathique avec les enfants. Plus on est empathique avec soi-même, plus on a de la compassion vis-à-vis de soi-même, plus cela nous protège aussi du burn-out. Vous devez savoir qu’en ce moment, il y a beaucoup de burn-out chez les parents et chez les professionnels de l’enfance et bien souvent c’est parce qu’ils sont durs avec eux-mêmes et pensent qu’il est possible d’être en permanence parfait, or c’est impossible, on fait tous des erreurs. Ils ont généralement peu d’empathie et de compassion pour eux. La compassion et l’empathie pour soi-même, c’est le premier facteur protecteur de burn-out. C’est un travail sur nos compétences émotionnelles, c’est-à-dire qu’il s’agit de comprendre nos émotions, nos besoins et savoir à quoi servent nos émotions. Elles sont fondamentales.
Ensuite il faut avoir de la compassion quand on fait des erreurs. Vous avez vu que j’ai commencé par le dire. J’ai commencé par dire que lorsque les adultes ont un mot qu’ils ne devraient pas avoir, un geste qui ne devraient pas avoir, il faut avoir de la compassion, en se disant : « Depuis des millénaires, on a toujours agi comme ça, donc il va falloir que je me défasse de tout ça ».
C’est un long chemin pour développer ses compétences sociales et émotionnelles. En ce moment, je ne sais pas si vous le savez, il y a tout un programme en France pour développer ces compétences psychosociales et socio émotionnelles. Et il faut que tous les adultes en relation avec les enfants aient des formations pour développer cette empathie. Sinon ils ne peuvent pas être empathiques avec les enfants, et comprendre les enfants. C’est d’abord aux adultes d’avoir ces formations. Et cette attitude bienveillante va être très importante, si elle est véridique. Si un adulte fait semblant d’être bienveillant, l’enfant le sent tout de suite. Donc pour que l’enfant se développe harmonieusement, il va y avoir le ton de la voix, il va y avoir le regard, il va y avoir le toucher – un toucher respectueux et chaleureux vis-à-vis de l’enfant.
La théorie de l’attachement
Le petit naît avec le besoin inné, vital, fondamental d’attachement qui est de créer un lien avec la personne qui prend soin de lui et qui pourra le réconforter, le protéger et lui donner une proximité affective en cas de détresse. Le rôle de l’adulte est de répondre à ce besoin de protection.
L’enfant a besoin, pour se développer harmonieusement, d’avoir des liens affectueux avec au moins une personne qui prend soin de lui de façon cohérente et durable, qui le protège. Elle est la base de sécurité affective vers laquelle il se tourne en cas d’alarme, de détresse, recherchant sa proximité physique et affective qui lui apporte l’apaisement et le réconfort, puis, progressivement, la force et le désir d’explorer le monde autour de lui.
Plusieurs personnes peuvent constituer ce port d’attache avec toujours une figure d’attachement principal qui généralement est le parent. Lorsque la figure d’attachement principal est absente le professionnel peut apporter à l’enfant cet attachement sécure.
L’adulte console, câline, réconforte l’enfant en ayant un contact respectueux qui ne l’enferme pas, qui le laisse libre dès qu’il n’a plus besoin d’être réconforté. Bien souvent on ne comprend pas cette théorie de l’attachement, et on croit qu’il faut le câliner n’importe quand. Mais l’enfant a besoin d’être câliné quand il en a besoin, c’est à dire quand il est en détresse, quand il ne va pas bien. Sinon, éh bien il faut le laisser libre.
Vous avez parlé du fait que les adultes doivent avoir de l’empathie. Si cet enjeu est clair, cela peut pourtant être difficile pour des adultes de se libérer justement de l’éducation, consciente et inconsciente qu’ils ont reçue ?
Des formations pour développer l’empathie chez les adultes et le travail des émotions chez les enfants
C’est extrêmement difficile, et c’est pour cela qu’il faut des formations pour développer l’empathie chez les adultes. Face à des enfants qui ont des comportements inadéquats, il faut comprendre pourquoi la première réaction des adultes c’est de s’énerver, d’être en colère et d’avoir envie de punir. Donc il y a tout un travail extrêmement important, parce que l’on sait qu’à l’heure actuelle parler des émotions aux tout-petits va améliorer leur développement au niveau de leur régulation émotionnelle, de l’empathie, des comportements d’entraide et du langage.
Je vais vous donner un exemple d’étude italienne qui est très intéressante et qui a été menée avec des petits de 2 ans. Cette chercheuse a pris 2 groupes d’enfants qui écoutent la même histoire qu’un adulte leur lit. Il y a un groupe d’enfants qui ensuite passe à autre chose, et va jouer. Et il y a un groupe d’enfants à qui on demande de parler des émotions qu’ils ressentent par rapport à cette histoire. Puis, on leur demande quelles sont les émotions des personnages de l’histoire, quels ont été leurs comportements d’entraide ou de non-entraide ?
Chez les enfants qui ont eu ce travail des émotions, cela va changer leur développement : ils deviennent empathiques, ils auront un développement considérable du langage et des comportements d’entraide. Alors que les enfants qui ont seulement écouté la même histoire, sans travail des émotions n’auront pas d’impact sur ces éléments-là. Actuellement toutes les études du monde entier disent que pour les tout-petits, il faut faire ce travail autour des émotions. C’est fondamental pour leur développement.
Pourquoi ? L’empathie c’est le travail sur les émotions. On sait que c’est l’empathie qui va permettre le développement global du cerveau – aussi bien le cerveau intellectuel que le cerveau affectif, qui nous permet d’avoir des relations satisfaisantes et qui nous permet justement d’être en contact avec nos émotions. Donc les neurosciences affectives et sociales insistent énormément sur le travail des émotions, et c’est ce qui est mis en place en ce moment par le gouvernement, avec tout un déploiement sur 15 ans pour former tous les adultes en charge d’enfants pour qu’ils développent leurs compétences émotionnelles et sociales. C’est le grand apport des neurosciences affectives et sociales.
On entend aujourd’hui des remises en cause de l’éducation positive, est-ce qu’il y a un vrai désaccord sur le fond, ou est-ce que c’est parce que cette notion a parfois été mal comprise ?
Pour beaucoup d’adultes, parler de leurs émotions, c’est un aveu de faiblesse
Ce n’est pas moi qui ai parlé d’éducation positive. C’est des journalistes qui m’ont mis cette étiquette-là. Moi je parle des découvertes scientifiques qui se font dans le monde entier à l’heure actuelle. Cette nouvelle éducation repose sur le fait qu‘il faut être empathique avec les enfants, développer leurs compétences émotionnelles et sociales, et ne plus les humilier. C’est ça l’éducation dite positive. Alors ça dérange beaucoup, beaucoup d’adultes parce qu’eux, ils n’ont pas été élevés comme ça. Les adultes n’ont pas été du tout élevés avec l’habitude de parler de leurs émotions. Pour eux, parler de leurs émotions, c’est un aveu de faiblesse. Ils ne comprennent pas pourquoi il faut parler des émotions. Donc c’est très très compliqué pour nous les Français qui sommes dans un pays plutôt de la rationalité. C’est un très grand malentendu. J’ai été interviewée au mois de juin par une spécialiste de l’éducation du journal espagnol « El Pais ». Elle m’a dit « Mais qu’est-ce qui se passe en France ? Nous les journalistes, on n’oserait jamais interviewer quelqu’un qui prône l’humiliation vis-à-vis des enfants, parce qu’isoler un enfant, l’enfermer dans sa chambre, c’est de l’humiliation. » En France, on a beaucoup, beaucoup de travail pour sortir de cette habitude d’humiliation et de punition. Plus que dans les pays anglo-saxons, où il y a une éducation qui est beaucoup plus positive.
Cette interview est en 3 parties.
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