Interview du Dr. Catherine Gueguen – Partie III

Catherine Gueguen, pédiatre, s’est faite connaître du grand public grâce à deux ouvrages de référence publiés aux Editions Robert Laffont : « Pour une enfance heureuse – Repenser l’éducation à la lumière des neurosciences affectives » et « Vivre heureux avec son enfant ». Elle a récemment co-écrit « Développer les compétences psychosociales à l’école. Osons la Communication non violente » (Edition Canopé, éducation nationale, 2023).
Le regard que l’adulte porte sur l’enfant modifie le comportement de l’enfant

Que faire quand on a un enfant qui mord beaucoup, qui tape ? Pendant une semaine par exemple, on peut noter sur une feuille quel est le comportement habituel de l’enfant. En le faisant, on réalisera que la plupart du temps, cet enfant-là se comporte très bien. Et à partir du moment où l’adulte change de regard sur l’enfant, ne l’étiquette plus comme un mordeur, comme un enfant infernal, et bien cet enfant ne ressent pas cette agressivité, même si elle n’est pas voulue de la part de l’adulte. L’enfant va de nouveau être beaucoup, beaucoup plus tranquille et beaucoup moins mordre.
Donc il ne faut pas étiqueter un enfant. Par exemple quand un enfant mord beaucoup, il ne faut pas lui dire « Ah ça y est ! Qu’est-ce que tu es énervant ! ». Il faut vraiment que les professionnels et les parents essayent vraiment concrètement de noter tout ce que cet enfant fait de bien dans la journée, et dans ce cas-là ils vont changer leur regard sur l’enfant. Ca c’est très important !
Avez-vous un conseil à donner aux parents en cas de « tourmente émotionnelle de leur enfant et pouvez-vous au préalable, bien sûr définir ce terme ?

Je ne parle pas de tourmente émotionnelle, je parle de tempête émotionnelle. C’est-à-dire que souvent, dès le milieu de la première année, quand les enfants peuvent se déplacer, ils tirent les cheveux, ils mordent … L’attitude des adultes, est déterminante. Une étude de 2022 montre que lorsque les adultes manifestent de la colère, punissent les enfants, les enfants vont crier, être en colère contre l’adulte et les comportements agressifs vont continuer. Par contre, quand l’adulte est empathique, parle des émotions et des besoins de l’enfant, parle du comportement attendu, propose des solutions, des alternatives … Progressivement, l’enfant va modifier son comportement.
Si à partir d’un moment, l’adulte change de regard sur l’enfant, est-ce que cela peut changer l’enfant quel que soit son âge ?

On peut toujours progresser jusqu’à la fin de notre vie
Effectivement c’est le cas, quel que soit son âge. J’ai beaucoup, beaucoup de parents qui me disent qu’ils ont un enfant adolescent, et ils se sont rendus compte qu’ils ont toujours été durs. Si des parents disent à leur adolescent « Tu vois, on s’est trompé. Nous, on a été élevé comme ça, et on a fait ça parce qu’on croyais que c’était bon pour toi. Maintenant nous savons que ce n’est pas comme ça qu’il aurait fallu que l’on fasse. Nous allons changer de comportement. » Et bien l’enfant, l’adolescent va changer. Il n’est jamais trop tard.
Les adultes peuvent changer. Ça c’est la résilience : c’est à dire que le cerveau se modifie tous les jours, et le cerveau va se modifier beaucoup plus rapidement chez les enfants. Le cerveau de l’enfant et de l’adolescent est très malléable. Nous, on a toujours un cerveau malléable, mais un peu moins que les enfants. Mais on peut toujours modifier notre comportement, et on peut toujours toujours progresser. Et ça, il faut le dire aussi aux enfants ! Et ça, il faut le dire aux professionnels, il faut le dire aux parents : on peut toujours progresser et c’est ça qui rend la vie intéressante, savoir qu’on peut toujours progresser jusqu’à la fin de notre vie.
Merci pour cet encouragement. Auriez-vous un mot à partager avec nous sur votre dernier livre « Développer les compétences psychosociales à l’école. Osons la Communication non violente » aux éditions Canopé de l’Education nationale ?

La communication non violente rejoint tout ce que disent les recherches scientifiques à l’heure actuelle. Pour le développement de l’enfant, il est important de parler de ses émotions et de ses besoins. Et je réinsiste là-dessus : il faut d’abord que les adultes soient formés, et qu’ils travaillent sur leurs émotions.
Rappelons-nous aussi que c’est l’encouragement des adultes qui jouent un rôle crucial dans le développement de l’enfant. Dès que l’enfant fait un effort, progrès, si minime soit-il, il faut le féliciter et l’encourager. Que dire quand on demande par exemple à un enfant de ranger ses jouets, et que l’enfant ne range qu’un seul jouet ? Au lieu de lui dire « Ecoute, franchement, tu pourrais m’aider un peu plus ! » Et bien dites plutôt : « Merci ! Bravo tu as rangé un jouet. ». C’est très important.
Quand des parents demandent à leur enfant de mettre ses affaires sales dans le bac à linge sale et que l’enfant ne met qu’une seule chaussette, quelle est la tendance de l’adulte ? Cela va souvent être de dire : « Franchement, tu n’es même pas capable de mettre deux chaussettes dans le bac ! ». Ce genre de phrase va avoir des répercussions sur le comportement de l’enfant. Il faut lui dire : « Merci. Tu as déjà mis une chaussette dans le bac à linge sale. Donc même si l’effort de l’enfant a été minime, il faut toujours encourager les efforts chez les enfants. C’est ce qui les fait progresser. Les anglo-saxons sont excellents à ce niveau-là. Et, je ne vois pas pourquoi nous, les Français, on ne pourrait pas le faire. C’est pour cela qu’il faut former les professionnels de l’enfance, et les parents.
Et pour conclure, est-ce que vous auriez une dernière recommandation plus spécifiquement pour les professionnels de l’enfant et les parents ?

Pour les professionnels de l’enfant, c’est souvent difficile quand ils ont beaucoup d’enfants à s’occuper. Pourtant, quelques minutes par jour, si le professionnel peut être présent, présent à l’enfant et capter son regard et lui parler, les principales structures de socialisation se renforcent durant ces instants d’échange de regards vis-à-vis de l’enfant. C’est extrêmement important. Donc j’encourage les professionnels de l’enfant à être quelques minutes par jour avec l’enfant, dans le regard avec l’enfant, sans rien faire d’autre, en en éliminant bien sûr tous les portables.
Et il faut redire aux parents qu’il faut absolument éliminer tous les écrans en dessous de 2 ans. En dessous de 2 ans, les écrans sont très nocifs pour le développement des enfants. Toutes les études convergent là-dessus. Il faut éliminer tous les écrans en dessous de 2 ans, car l’enfant a besoin d’être dans le réel, d’être dans l’échange avec les adultes, d’être dans le jeu. C’est extrêmement important.


