A la naissance le volume du cerveau correspond à environ 30% de celui de l’adulte et atteint 70 % à un an (L. Konkel, 2018). Très tôt les prémisses d’organisation, déjà observées in utero, vont s’intensifier et s’affiner par le biais des informations sensorielles. Les capacités cognitives se mettent peu à peu en place, en même temps que le cerveau se développe massivement. Les trois premières années sont une période pendant laquelle proposer une diversité de stimulations sensorielles peut être bénéfique. Par cela, on peut aider l’enfant à développer ses compétences sans excès ni surstimulation. Ceci est particulièrement intéressant pour les sens peu valorisées dans la pratique éducative: odorat, gustation, toucher par exemple. D’autre part il est utile de l’aider à concevoir que les objets naturels sont toujours des objets pluri-sensoriels dont il faut capter les différentes facettes pour en avoir une meilleure représentation mentale. Des approches bien menées par les aidants (en tenant compte, et c’est important, de l’âge et la réceptivité de l’enfant, de son sentiment de confiance, de ses aptitudes à focaliser son attention, de sa curiosité, de l’aspect ludique des situations …) peuvent être pertinentes.
Le cerveau du nouveau-né est, comme chez l’adulte, divisé en lobes par des sillons profonds. Chez l’adulte chaque lobe est subdivisé en régions corticales topographiquement identifiables dont la fonction est (relativement) connue. Schématiquement, on distingue les zones qui reçoivent les informations provenant des capteurs sensoriels (comme, par exemple le cortex visuel primaire dans le cortex occipital, à l’arrière du cerveau, ou le cortex auditif primaire dans le lobe temporal) et celles dites d’intégration, en particulier dans le lobe pariétal, qui regroupent les informations de plusieurs canaux sensoriels et permettent des hypothèses de traitements. Il existe aussi des régions qui assurent des tâches plus élaborées comme, par exemple, la sélection des informations sensorielles par orientation de l’attention, la mise en commun de zones d’intégration, l’appel aux informations mémorisées, le contrôle des prédictions basées sur les informations disponibles (avec un réajustement en cas d’erreur). D’autres enfin font intervenir le ressenti émotionnel. Tous ces niveaux de fonctionnement sont déjà potentiellement présents à la naissance, ou peu de temps après, mais ne vont se mettre réellement en place, s’affiner et se renforcer que par l’intermédiaire des expériences sensorielles.
La croissance du cerveau est prodigieuse pendant les trois premières années (L. Konkel, 2018). Cette croissance reflète d’une part la croissance des neurones du cortex (dans la substance grise), la multiplication des contacts synaptiques (qui permettent aux neurones de s’échanger de l’information) et la création d’un très grand nombre de réseaux de communication entre les différentes régions du cerveau. D’autre part les axones des neurones s’entourent d’une gaine isolante (la myéline) ce qui augmente la vitesse de transfert des informations nerveuses au sein des réseaux. Ce processus de myélinisation est progressif et dure plusieurs années (Sanchez et al (2012)). La myélinisation progresse graduellement de l’arrière du cerveau vers les lobes frontaux. Les lobes frontaux interviennent essentiellement dans la planification, le raisonnement, la prise de décision, le langage etc., autant de fonctions qui s’optimisent lentement chez l’enfant en bas âge.
Il est possible par différentes variantes de l’IRM (imagerie par résonance magnétique) d’obtenir des informations précises, à la fois structurales et fonctionnelles. Leur utilisation pour examiner le cerveau en fin de gestation et durant la prime enfance a nécessité une grande ingéniosité technique, car à cette période il ne présente pas encore les caractéristiques de celui d’un adulte. Par exemple, le cortex est encore peu organisé, la substance blanche est peu myélinisée, et divers facteurs compliquent les enregistrements (mouvements de la tête non contrôlables, rythmes cardiaque et respiratoire plus élevés). Très récemment ces problèmes ont été maîtrisés (e.g. Cusack et al. (2018) et l’on commence à mieux comprendre comment le cerveau se structure et comment les voies de communication entre les différentes régions corticales se mettent en place et permettent l’échange d’informations. De grands travaux sont d’ailleurs en cours, comme le Baby Connectome Project, pour mieux décrire, à grande échelle, l’évolution du cerveau de la naissance jusqu’à l’âge de cinq ans.
A ces données structurales (quelles sont les régions corticales qui peuvent communiquer) on peut associer l’IRM fonctionnelle qui, elle, permet de repérer les régions corticales actives en mesurant un signal relié à la consommation d’oxygène locale. Appliquée à des cerveaux de nouveau-nés, cette technique permet de mieux comprendre, par exemple, quelles régions s’activent en réponse à des stimulations sensorielles. C’est ainsi qu’un travail d’Adam-Darque et al. (2018) montre que, quelques jours après la naissance, la stimulation odorante provoque l’activation de régions cérébrales sensorielles et intégratrices similaires à celles que l’on observe chez un adulte (cortex piriforme, cortex orbitofrontal et insula). Contrairement au système visuel, le système olfactif est très tôt fonctionnel dès la fin de la gestation et joue un rôle important dans la relation mère-petit à la naissance. C’est également par l’IRM fonctionnelle qu’il a été montré que le cortex auditif de prématurés et de nouveau-nés de quelques jours sont fonctionnellement connectés à des régions corticales connues comme étant impliquées dans le traitement du tempo et de la familiarité (Lordier et al. (2019).
Une variante d’IRM fonctionnelle (dite IRMf de l’état de repos) permet de repérer les régions cérébrales actives en dehors de toute sollicitation extérieure (pour plus de détails voir Smith et al (2013). Cette technique permet de distinguer, chez l’adulte, un certain nombre de réseaux actifs fonctionnant en parallèle mais indépendamment. Ces réseaux sont également observables par la technique de magnétoencéphalographie qui enregistre l’activité électrique du cerveau.
Depuis quelques années l’IRM fonctionnelle de repos est largement utilisée pour étudier le cerveau des jeunes enfants (Gao et al. (2015), Zhang et al. (2019)). C’est ainsi par exemple qu’elle montre qu’à 32 semaines de gestation, dans le ventre de la mère, de l’activité à la fois dans des cortex sensoriels mais aussi dans des cortex associatifs (Thomason et al. (2013). L’organisation générale du traitement des informations sensorielles est donc très tôt en place (van den Heuvel et al. (2018)
En examinant, par IRM fonctionnelle de repos, l’activité cérébrale de nouveau-nés dans les 6 premières semaines Sours et al. (2017) montrent que le cerveau est déjà capable d’intégrer de l’information dans deux structures corticales connues comme étant multi-intégratrices chez l’adulte. Le sulcus temporal supérieur (qui joue un rôle important dans la reconnaissance des visages, des voix, du langage et de l’attribution d’états mentaux aux autres chez l’adulte) est déjà fonctionnellement connecté aux aires associatives visuelles, au cortex primaire auditif et aux régions associatives somato-sensorielles (représentation du corps). Le sulcus intrapariétal (impliqué dans l’attention visuelle et la coordination visuo-motrice pour manipuler les objets) est déjà connecté avec les aires associatives visuelles et somato-sensorielles. Donc très tôt après la naissance le cerveau est apte à coupler différentes informations sensorielles.
On sait depuis longtemps (e.g. Mueller et al. (2013) qu’il existe des différences d’activité cérébrale de repos chez les adultes, en particulier dans le lobe frontal et les cortex associatifs. On constate aussi cela chez des enfants d’un mois, d’un an et de deux ans (Gao et al. (2014). On ne sait pas encore expliquer clairement l’origine de ces différences interindividuelles. Selon Mueller et al. (2013) elles pourraient provenir de l’effet de différences dans les expériences sensorielles mais Gao et al. (2014) suggèrent aussi des facteurs génétiques.
En conclusion, dès la naissance le cerveau est pré-organisé en grands réseaux de traitement de l’information dont le fonctionnement se renforce et s’affine grâce aux informations sensorielles.
Rédaction : Didier Trotier