Le sens du toucher est le premier à se développer in utero. Dès la naissance il constitue une source d’informations essentielles à l’enfant pour prendre conscience de son corps et découvrir la réalité des objets et des êtres vivants autour de lui.
En touchant les objets (ou les êtres) avec ses mains, mais aussi avec ses lèvres et sa langue, l’enfant accède à certaines propriétés inaccessibles aux autres sens. C’est ainsi qu’il peut percevoir la texture de la surface, la douceur ou la rugosité, l’existence de vibrations… En associant les informations tactiles avec les informations proprioceptives venant des muscles et des tendons en action, il peut aussi juger si un objet est dur ou mou, s’il est lourd ou léger.
L’exploration tactile active permet, en saisissant un objet et en le parcourant avec les doigts, d’accéder à une représentation de la forme, des courbures et des contours des objets en trois dimensions [1]. La stéréognosie est la capacité de reconnaître la forme d’un objet uniquement par les informations tactiles des mains, en absence d’informations visuelles (par exemple en portant un masque sur les yeux). La composante tactile est associée alors aux informations proprioceptives qui permettent de connaître précisément les mouvements des doigts dans l’espace. La détermination de la forme d’un objet par le toucher, qui se fait séquentiellement sur l’objet, sollicite beaucoup l’attention et la mémoire de travail. Il faut en effet relier des informations ponctuelles dans une construction mentale globale. La stéréognosie est un complément essentiel à ce qu’indique la vision pour la représentation mentale tridimensionnelle des objets.
On trouve dans la peau glabre de la paume de la main (la partie invisible lorsque le poing est fermé) une variété de corpuscules cutanés qui jouent le rôle de mécanorécepteurs pour signaler les déformations de la surface de la peau. Un article récent [2], dont sont tirées les images suivantes, décrit les différences anatomiques et fonctionnelles de ces différents corpuscules.
Par exemple, les corpuscules de Meissner sont constitués d’une fibre nerveuse dont l’extrémité entoure un amas lamellaire de cellules gliales, le tout entouré d’une capsule. L’extrémité de l’axone contient des protéines sensibles aux déformations mécaniques permettant la détection de vibrations à faible fréquence et de mouvements fins de la peau. Ils apparaissent très tôt (36 semaines de gestation). On les trouve en particulier en forte densité à l’extrémité des doigts, sur la paume, mais également sur les lèvres, la voûte plantaire et les organes génitaux. Leur densité diminue lors du vieillissement.
Les corpuscules de Pacini ont eux une forme d’oignons ovoïdes. Ils sont constitués de l’extrémité d’une fibre nerveuse entourée de plusieurs couches de lamelles cellulaires, le tout englobé dans une capsule. Dans la peau des doigts, où ils sont particulièrement nombreux, ils sont complètement achevés 4 mois après la naissance. Ils sont sensibles à la pression et à des vibrations entre 20 et 1500 Hz, avec une sensibilité maximale entre 200 et 400 Hz.
Toutes ces structures mécano réceptrices jouent donc des rôles différents mais complémentaires. Elles ne s’activent pas pour les mêmes causes mécaniques et transmettent donc des informations complémentaires au cerveau. C’est sur l’ensemble de ces informations nerveuses que le cerveau travaille.
Outre les corpuscules, la peau est dotée d’autres fibres nerveuses qui indiquent la température (certaines fibres sont sensibles au froid, d’autres au chaud) et la douleur (en cas de pression très forte ou de lésion des tissus, par exemple).
L’information nerveuse générée par les détecteurs de déformation de la peau aboutit dans un vaste ensemble de neurones au niveau du cortex somato-sensoriel primaire. Ce cortex longe, dans chaque hémisphère, l’arrière du sillon central de Rolando qui sépare le lobe frontal et le lobe pariétal.
A chaque point de ce cortex correspond une région particulière de la peau du corps, d’une façon très ordonnée : les pieds en haut, la tête en bas. Le cortex somatosensoriel droit reçoit l’information de la partie gauche du corps, et vice versa. Le cortex somatosensoriel travaille en étroite collaboration avec le cortex moteur localisé de l’autre côté du sillon de Rolando : le simple fait de plier un doigt active simultanément ces deux cortex puisqu’il y a une composante motrice et une composante sensorielle.
Au sein de chaque cortex somato-sensoriel existe une représentation précise de tout le corps en fonction non pas de la surface mais de la densité des capteurs. (On retrouve d’ailleurs une représentation semblable au niveau du cortex moteur, de l’autre côté du sillon central de Rolando). C’est ainsi que les doigts et les mains sont gérés par un très grand nombre de neurones corticaux de même que les lèvres et la langue. Ceci est connu depuis 1937 et les travaux de Wilder Penfield et Edwin Boldrey. L’hyper développement de la zone cérébrale gérant les informations tactiles de la main est une caractéristique des primates. Un article récent [3], dont est tirée l’image suivante, donne plus de détails sur cette représentation du corps au niveau de ces cortex.
L’enfant est bien armé, dès sa naissance, pour découvrir le monde avec ses mains. Cependant, la pleine fonctionnalité tactile, en particulier pour la reconnaissance des formes et des textures, nécessite une maîtrise de la dextérité musculaire des doigts pour manipuler et parcourir l’objet d’une façon efficace. Or le développement de la dextérité manuelle est un processus lent, jusqu’à l’adolescence pour certains aspects, qui nécessite la maturation de la motricité fine [5].
On peut envisager aisément l’aider à prendre conscience des potentialités de ce sens irremplaçable. Par exemple, on peut mesurer sa sensibilité tactile ponctuelle grâce à des filaments métalliques de différents diamètres. On commence avec un filament de 1 mm appliqué sur la peau pendant 1,5 s et on lui demande s’il a perçu une sensation tactile (il a les yeux bandés). On peut tester différents endroits du corps (index, joue, pouce, dos de la main etc.). Ensuite on utilise des filaments de plus faible diamètre (jusqu’à 0,1 mm). C’est une méthode utilisée pour mesurer le seuil de sensibilité tactile ponctuelle.
On peut aussi faire travailler sa stéréognosie. Alors qu’il a les yeux bandés, on lui demande de reconnaître par le toucher des objets communs (pièce de monnaie, stylo, crayon, tasse, verre, peigne, éponge, serviette…), en faisant travailler chaque main indépendamment, puis les deux simultanément. On peut aussi, sur la base des informations tactiles seules, lui demander d’associer la forme d’un objet (triangle, rond, carré, losange etc.) avec son empreinte creusée sur un support en bois.
Beaucoup d’autres possibilités existent pour développer le sens du toucher de l’enfant …
Rédaction : Didier Trotier