Interview du Dr. Catherine Gueguen – Partie I

Catherine Gueguen, pédiatre, s’est faite connaître du grand public grâce à deux ouvrages de référence publiés aux Editions Robert Laffont : « Pour une enfance heureuse – Repenser l’éducation à la lumière des neurosciences affectives » et « Vivre heureux avec son enfant ». Elle a récemment co-écrit « Développer les compétences psychosociales à l’école. Osons la Communication non violente » (Edition Canopé, éducation nationale, 2023).
Ses interventions nous aident à mieux comprendre comment l’enfant perçoit le monde et « l’autre », comment l’enfant ressent nos paroles ou nos attitudes à son égard et comment communiquer avec lui/elle ?
Nous avons souhaité la rencontrer pour bénéficier de son éclairage.
Docteur Gueguen, vous avez contribué à rendre accessible aux parents l’apport des neurosciences affectives et sociales. Que nous disent-elles du cerveau et du comportement du jeune enfant ?

Ne vous mettez pas de pression, ne vous culpabilisez pas !
D’abord, je souhaite dire aux parents et aux professionnels de l’enfance : « Ne vous mettez pas de pression, ne vous culpabilisez pas ! » Pourquoi ? Parce que toutes ces découvertes sur le développement du cerveau des enfants sont extrêmement récentes, et elles sont une véritable révolution éducative.
Depuis des siècles, et encore maintenant sur toute la planète, la grande majorité des adultes – quelle que soit la culture, quelle que soit la religion – ont pensé en toute bonne foi qu’il fallait punir l’enfant, le dresser, l’humilier pour qu’il se comporte bien et travaille bien à l’école. Donc pour beaucoup d’adultes, c’est très compliqué parce que ces recherches scientifiques montrent qu’au contraire, il faudrait être empathique si nous souhaitons que l’enfant se développe bien. Il faudrait soutenir les enfants, les encourager au lieu de les humilier, les punir et les dévaloriser. Et bien sûr, les adultes ne vont pas modifier leur attitude vis-à-vis des enfants d’un coup de baguette magique. Ce chemin ne va pas se faire du jour au lendemain.

Faire des erreurs, ce n’est pas grave !
L’éducation, je pense que tout le monde le sait, c’est extraordinairement complexe, difficile. Et qui plus est, tous les adultes font des erreurs, qu’ils soient parents ou professionnels. Et faire des erreurs, ce n’est pas grave. Tous les humains se trompent, et peut-être même surtout dans le domaine éducatif, parce que c’est extrêmement complexe. Un jour ou l’autre, tous les parents, et même les professionnels, perdent patience, s’énervent, crient ou ont envie de baisser les bras, sont découragés. Ils disent des paroles, et ils font des gestes qu’ils regrettent ensuite, et parfois même aussitôt. Mais reconnaître qu’on se trompe et s’excuser, c’est très éducatif pour les enfants ! Cela leur apprend que les adultes commettent des erreurs comme eux, et qu’on apprend de ses erreurs. L’essentiel c’est d’avoir envie de s’améliorer, de progresser, et de ne pas rester seul quand on se sent dépassé. Ce que je dis là pour les parents et les professionnels, c’est très très important.

Ce que nous disent les recherches en neurosciences
Alors quelles sont ces recherches très récentes, qui datent donc de la toute fin du 20e siècle et début du vingt-et-unième siècle ? Elles nous montrent qu’une grande partie du cerveau est dévolue aux émotions et aux relations. Cela veut dire que nos émotions et nos relations sont primordiales pour nous, et cela nous le savons tous au plus profond de nous. Et ces neurosciences affectives et sociales nous donnent une nouvelle vision de l’enfant, ce qui implique, à mon avis, que tous les adultes soient accompagnés dans cette nouvelle façon de guider et d’élever les enfants. Elles nous disent que le cerveau de l’enfant est beaucoup plus immature, vulnérable et malléable que tout ce qu’on pensait jusqu’à maintenant. L’être humain naît avec la capacité à être empathique et altruiste. L’enfant petit n’est pas méchant, mais il ne peut pas faire face à ses émotions, à ses impulsions, parce que son cerveau est immature. Elles nous disent aussi que la qualité de la relation avec l’enfant, notamment l’empathie, le soutien, l’encouragement, sont primordiales pour le développement de son cerveau, et que cela n’a rien à voir avec le laxisme. Ensuite, elles nous disent l’importance capitale du rôle des émotions dans la connaissance de soi, dans la réflexion morale, dans l’apprentissage. Les compétences émotionnelles et sociales permettent le développement optimal de l’enfant, son développement social et intellectuel. Et enfin elles nous disent que les humiliations verbales et physiques entravent le développement du cerveau de l’enfant, et donnent énormément, énormément de troubles du comportement.
Justement, c’est en lien avec la 2e question que je veux vous poser. Vous mettez en garde régulièrement contre les effets de la punition et de la critique. Vous venez d’en parler, mais vous n’avez pas encore mentionné l’isolement de l’enfant. Quels sont les risques pour l’enfant quand on parle d’isolement ?

L’apaiser ne veut pas dire céder
Je vais quand même détailler ce que j’ai dit, parce que je l’ai dit de façon très schématique. Les chercheurs nous disent donc que le cerveau de l’enfant est extrêmement immature, fragile et malléable et que le petit enfant, jusqu’à 5, 6 ans n’est pas capricieux, il n’est pas tyrannique, il n’est pas infernal, il n’est pas méchant. Il a juste un cerveau très immature qui ne lui permet pas de faire face à ses émotions. C’est ce qui explique ses nombreuses tempêtes émotionnelles, c’est-à-dire ses pleurs, ses colères, ses paniques. Et quand ses besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits -ce qui peut arriver très souvent, et en particulier quand il est avec d’autres enfants – éh bien, son cerveau disjoncte : et alors il peut taper, mordre, se rouler par terre, et jeter ses jouets.
Nous savons maintenant que lorsque l’enfant est submergé par ses émotions, il n’est pas capable de s’apaiser seul. Ça c’est très très important, et il a absolument besoin d’un adulte empathique, qui comprend ses émotions, ses besoins, et qui l’apaise et qui l’aide à exprimer ses émotions. C’est ce qui permet la maturation de son cerveau.
Au contraire, quand il est en proie à ces tempêtes émotionnelles, et qu’on le laisse seul, il va sécréter trop de cortisol, qui est très délétère pour le développement de son cerveau. Bien sûr l’apaiser ne veut pas dire céder. Si l’enfant fait une crise parce qu’il veut des bonbons, ou il veut ceci ou cela, et que l’adulte considère que ce n’est pas justifié : on ne va pas céder, mais on va apaiser sa tempête émotionnelle. Donc l’attitude à adopter est tout à fait contre-intuitive, parce que depuis toujours, face à un enfant qui a une tempête émotionnelle, je vois tous les parents – en croyant bien faire – qui se mettent en colère, s’énervent et lui disent très souvent en criant « Ce n’est pas bien ! Tu n’es pas gentil ! Tu es méchante ! Tu es infernale ». Et il faut vraiment que les adultes et les professionnels cessent de dire des phrases de ce type, et arrêtent ensuite de punir plus ou moins violemment l’enfant.

Quand l’enfant est en détresse, il a un immense besoin d’être sécurisé
Je vais maintenant répondre à votre question : ces humiliations et l’isolement d’un enfant fait partie de la maltraitance émotionnelle. C’est également ce qui est fait mention dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) . Toutes ces humiliations, quand elles sont fréquentes, intenses, quotidiennes, abîment profondément le cerveau et peuvent entraîner de très nombreux troubles du comportement : de l’agressivité, la dépression (même s’il s’agit d’enfants), de l’anxiété, puis plus tard, de la délinquance, des addictions aux drogues, à l’alcool, des tentatives de suicide, etc… La plupart des études viennent de Harvard, et elles sont extrêmement bien documentées. Donc on sait exactement ce que cela fait au niveau de quelle partie du cerveau. Cela étant dit, il n’est évidemment pas question d’être laxiste. Non, l’adulte doit donner des repères, il doit donner un cadre, mais il doit le faire avec empathie. Cela veut dire qu’il comprend les émotions et les besoins de leur enfant. Et quand ils voient que l’enfant n’a pas un comportement adéquat. Il lui exprime son désaccord, bien entendu, sans faire de grands discours. Car je pense que vous le savez, les petits n’écoutent pas les grands discours, et les adolescents non plus. Et toujours, il faut redonner confiance à l’enfant. Donc on dit « Non, ça ne me convient pas, je ne suis pas d’accord quand je t’entends dire ceci, quand je te vois faire ça. Mais en grandissant tu vas apprendre à faire autrement et tu peux faire autrement. » mais l’adulte ne va pas critiquer l’enfant. Il ne va pas lui faire des reproches en disant « T’es pas gentille, ce n’est pas bien ». Et c’est ce genre de phrases que j’entendais quotidiennement dans mon bureau de consultations. « Tu es égoïste, paresseux, etc… ». Parce que ces paroles-là, vont dévaloriser l’enfant qui va perdre confiance en lui, et il ne va pas progresser. Donc l’enfant a un immense besoin d’être sécurisé, rassuré quand il est en détresse car il est extrêmement fragile, immature et dépendant de l’attitude des adultes.
Pour faire suite à la première partie de votre interview, et parce que tous les parents font face dans leur quotidien à des situations de crise avec un enfant : pourriez-vous nous donner un exemple concret … dans un supermarché ou même à la maison, un exemple concret de réaction non acceptable pour les parents, et un exemple de recadrage sachant bien sûr qu’il n’y a pas de de recettes magiques.

L’enfant ne peut pas s’apaiser seul
Par exemple, si un enfant se roule par terre, crie et hurle parce qu’il veut plus de de chocolat, et que l’adulte pense que « Non, ça suffit. », l’adulte va parler à l’enfant d’abord de ses émotions. C’est-à-dire qu’il va être empathique « Oui, je comprends que tu sois en colère, parce que tu veux plus de chocolat. Moi je ne veux pas. Parce que si tu en manges trop, tu vas avoir mal au ventre ». Et là il faut parler du comportement attendu. « Tu vois, en grandissant, quand tu sauras mieux parler, tu me diras « Tu sais, j’aimerais bien avoir plus de chocolat. » au lieu de te rouler par terre, de crier et de hurler ». C’est très très important de dire à l’enfant quel est le comportement attendu. Puis on va apaiser l’enfant qui est dans tous ses états : on va le câliner. Ça ne veut donc pas dire qu’on va lui donner du chocolat, mais on va l’apaiser. Et ça, ce n’est pas du tout du laxisme : on ne va pas céder à l’enfant, mais on va apaiser parce que lorsque l’enfant a des tempêtes émotionnelles, il n’a pas comme nous un cerveau préfrontal mature qui lui permet de prendre du recul face à ses émotions et de s’apaiser seul. Le petit enfant ne peut pas s’apaiser seul, c’est ce que les adultes doivent comprendre avec des enfants petits : donc on l’apaise pour qu’il ait moins de cortisol dans son corps car c’est très délétère pour son cerveau, c’est très nocif quand cela arrive de façon répétée parce qu’un enfant peut faire des crises plusieurs fois par jour.
Cette interview est en 3 parties.


