Entretien avec Stéphanie Lefebvre musicothérapeute

Bonjour
Nous avons aujourd’hui le plaisir d’interviewer Stéphanie Lefebvre qui est musicothérapeute.
Qu’est-ce que la musicothérapie ? Quelle est son histoire et quelles sont ses applications et implications aujourd’hui ?
La musicothérapie est une pratique de soin qui utilise la médiation sonore, musicale et vocale à des fins thérapeutiques : développement, communication, stimulation cognitive et sensorielle, etc. Basée sur la recherche scientifique, elle est une intervention complémentaire non médicamenteuse qui, en mobilisant ses ressources, contribue au bien-être et à la santé de la personne.
Son histoire ne date pas d’hier. On trouve, en effet, dans les textes fondateurs des religions monothéistes, des récits dans lesquels des instruments sont utilisés à des fins de guérison. Nous avons aussi connaissance de rituels cathartiques basés sur la danse et la musique comme avec la Tarentelle en Italie. Et puis, je pense à ce mythe africain qui raconte que la sanza, que l’on appelle aussi piano à pouces ou kalimba, aurait été crée pour restaurer une harmonie perdue.
Mais revenons à notre siècle. La musicothérapeute est présente dans tous les secteurs de soins, sanitaires et médico-sociaux, en milieu pénitentiaire ou en cabinet. Son champ théorique et disciplinaire s’étend de la psychanalyse aux neurosciences en passant par la pratique artistique et la musicologie. Elle s’adresse à un spectre de personnes tout aussi large, s’étendant du bébé né prématuré à la personne très âgée ou en fin de vie. Aussi, tout au long de son parcours de soin, un patient peut être amené à rencontrer un(e) musicothérapeute.
Grâce au développement de l’imagerie cérébrale, qui a vu le jour dans les années 80, les sciences cognitives de la musique ont donné à la musicothérapie un essor particulier en apportant des preuves tangibles à ses intuitions notamment sur le fonctionnement du « cerveau musicien ». En conséquences, de nouveaux champs d’applications sont apparus, comme avec la neuro-musicothérapie (NMT).
La musicothérapie est présente à travers le monde. Son niveau de formation relève de l’ingénierie du soin. Malheureusement, la plupart du temps, elle n’est pas reconnue par les systèmes de santé institutionnels, ce qui est le cas en France, et cela reste difficile d’exercer son métier sans avoir à faire face à une forme de précarité, à temps indéterminé, du fait de manques de budgets d’une part, et de cadre juridique d’autre part. Espérons que les choses continueront de s’organiser dans les années à venir, grâce notamment à l’action des associations de professionnels comme la Fédération Française des Musicothérapeutes (FFM) ou la Confédération Européenne de Musicothérapie (EMTC).
Et encore plus concrètement : en quoi consiste votre travail de musicothérapeute au quotidien ?

Au quotidien, j’interviens, auprès de publics très variés. Trois jours par semaine, j’ai le plaisir d’intervenir en réanimation néonatale et soins intensifs de néonatologie auprès des bébés nés prématurés au CHU d’Amiens, dans le cadre d’un projet de recherche porté par l’INSERM. Les deux autre jours de la semaine, je rencontre des enfants en DITEP avec des troubles TDAH, des personnes adultes avec handicaps lourds à la suite d’AVC, de maladies dégénérative ou de traumas crâniens, en Maison d’Accueil Spécialisé (MAS), des personnes âgées avec des troubles de la mémoire modérés à sévères (Alzheimer ou apparentés) en EHPAD et enfin, des adultes en Espace Ressource Cancer (ERC) et en service d’onco-hématologie, en ville et à l’hôpital, en rémission ou en cours de traitement, dans le cadre de politiques de soins de support.
Ce n’est pas toujours évident de passer de contextes aussi différents les uns des autres, mais les créneaux de quelques heures d’interventions proposés dans chaque établissement le nécessitent. C’est une richesse aussi. Comme tout musicothérapeute, j’ai ma « mallette à outils » remplie de méthodes, de playlist et d’instruments qui s’accordent aux différentes situations. Je crois que ce qui fait unité, c’est la personne humaine dans toutes ses dimensions, au cœur de mon engagement, dans son lien avec le musical. En cela, le travail que j’ai développé spécifiquement autour du développement sensoriel de la vie fœtale et du bébé né prématuré m’est très précieux.
5 senses for kids Foundation ne vous est pas inconnu car vous vous travaillez avec le Dr Sahar Moghimi, qui a reçu le 2e projet gagnant des prix 2023 de recherche scientifique de “5 senses for kids Foundation”. Son projet s’intitule « Codage neuronal du rythme auditif au cours du troisième trimestre de gestation ».
Pouvez-vous en quelques mots nous rappeler quel est votre rôle dans ce projet ?

Mon rôle a été dans un premier temps de concevoir et réaliser les stimuli musicaux diffusés aux bébés nés prématurés inclus dans ce protocole, au CHU d’Amiens, afin d’évaluer l’évolution de leur perception du rythme depuis leur naissance intervenue au cours du troisième trimestre de gestation jusqu’à leur sortie de l’hôpital et leur retour à la maison. Ces bébés sont ensuite suivis jusqu’à l’âge de deux ans pour évaluer dans quelle mesure l’exposition à ces musiques soutient leur développement, psychomoteur, cognitif et social.
Je me suis vraiment appuyée sur mon expérience de dix-sept années d’exercice de la musicothérapie auprès des bébés nés prématurés pour réaliser ces musiques de sorte qu’elles donnent à vivre au bébé et à ses parents un moment apaisant, rassurant et réconfortant, tout en répondant aux cahier des charges d’un protocole d’étude scientifique bien défini. Pour cela, j’ai fait appel à des musiciens, harpiste, guitariste, contrebassiste, violoniste, violoncelliste et flutiste. J’ai moi-même réalisé les parties vocales, les parties de clavier, de ukulélé et d’instruments idiophones (sanza, steel tongue drum). J’ai aussi conduit les séances d’enregistrement de sorte que l’expression artistique et musicale de chaque instrumentiste soit adaptée à la fragilité de ces bébés encore immatures sur le plan cérébral et auditif mais déjà en capacité et besoin de se sentir en communication et en relation avec leur entourage. En service de réanimation néonatale ou de néonatologie, les bébés sont exposés à des sons souvent trop aigus ou trop intenses comme les alarmes des machines. Il m’a semblé important de proposer des sons produits par un jeu acoustique humain pétri d’intentionnalité positive, de sensibilité, d’émotion et de générosité, comme un cadeau offert à ces enfants au parcours de vie éprouvé dans ses tous débuts.
Dans un second temps, mon rôle est de veiller au confort du bébé lors de la diffusion de ces stimuli tout au long de son parcours en néonatologie et de lui adresser des séances de musicothérapie « live » avec le chant et les instruments adressés de façon contingente et individualisée. Je suis également en charge de l’organisation des tests de suivi en lien avec l’équipe de recherche et les parents. Cela me réjouit vraiment, car jusque là, je n’avais pas eu l’occasion de revoir les enfants après leur sortie de l’hôpital. Cela est très émouvant.
Les études sur les effets de la musique à moyen terme sur les bébés prématurés sont difficiles à mener. J’espère que d’ici quelques mois, années, nous obtiendrons des résultats probants, qui participeront à permettre de recommander davantage la musicothérapie dans les services de néonatologie.
Indépendamment de ce projet, comment expliqueriez-vous le rôle et l’impact de la musicothérapie pour les tout-petits ?

De nombreuses études ont pu montrer que la musicothérapie auprès des bébés nés prématurés favorise leur apaisement sur le plan physiologique, mais aussi stimule leur développement comportemental, réduit l’anxiété parentale et participe aux processus d’attachement et de lien parent/enfant. Elle participe aussi à l’autonomie alimentaire du bébé et à son gain de poids. Avant 34 semaines, le bébé n’est pas assez mature pour à la fois respirer, téter et déglutir et il est alimenté par le biais d’une sonde nasogastrique. J’ai souvent observé qu’avec la musique et le chant, qui stimule des mouvements de bouche et de façon plus métaphorique le « goût de la vie » le bébé, comme entraîné par le rythme et la mélodie, pouvait progresser dans son apprentissage de l’alimentation au sein ou au biberon. En général, cela ravit les parents pour lesquels la prise de poids, qui sous-tend le retour à la maison, peut se révéler anxiogène.
Tous ces effets positifs de la musicothérapie auprès des tous petits s’observent notamment du fait que le langage du bébé est musical. Déjà in utéro, le fœtus perçoit les battements du cœur de sa mère, le rythme de ses pas, le son de son flux respiratoire et veineux. Il perçoit le son de sa voix et celle de son père ou de ses frères et sœurs. Même bien avant que se développe son sens auditif, il « entend » sa mère par le toucher, son premier sens à se développer, c’est-à-dire par la sensation de la vibration du liquide amniotique crée par le son. Des scientifiques, biologiques, gynécologues et échographes, nous apprennent grâce à leurs observations de la vie fœtale que les cellules de l’embryon bougent de manière rythmique et isochrone, tandis qu’un embryon de moins de deux mois est bercé par l’artère iliaque de sa mère. Nous savons aussi que le fœtus discrimine des éléments de langage même s’il n’en perçoit, bien sûr, pas encore le sens, et surtout, il en retient la prosodie à savoir l’enveloppe mélodique. C’est pourquoi les berceuses plaisent beaucoup aux bébés parce qu’elles ressaisissent à travers leurs formes et critères musicaux l’atmosphère de l’auditorium prénatal dans lequel ils ont plongé, fût-ce de façon écourtée par la prématurité.
Entre le bébé, ses parents et le(la) musicothérapeute – qui ont été des bébés eux aussi -, une relation se crée, au fil des séances, qui touche le cœur, et l’être émotionnel de chacun. La musique et la voix portent en elles ce potentiel relationnel à l’origine de ces mouvements psychiques. Elle favorise tantôt l’expression des parents, parfois sidérés par l’épreuve de la naissance prématurée, tantôt elle permet de profiter d’une intimité retrouvée avec soi et son bébé dans un contexte très médicalisé.
Je crois très foncièrement que la dimension esthétique de la musique choisie et adaptée à chaque situation tout autant que l’expérience d’accordage émotionnel et de synchronisation mélodique et rythmique sont essentielles dans ce contexte de la musicothérapie.
En vous basant sur votre expérience de musicothérapeute, quelles recommandations pourriez-vous donner tout d’abord aux parents mais aussi aux professionnels de la petite enfance ?

Très humblement, je recommanderais aux parents de ne pas hésiter à passer du temps à parler et/ou chanter à leur enfant, cela dès la grossesse et les tout premiers instants après la naissance. Ils peuvent choisir des musiques de leur choix et les faire écouter à des moments différents de la journée. Des petits instruments comme les sanzas ou les steel tongue drums sont aussi assez accessibles et agréables à jouer, même sans être musicien.
Quant aux professionnels de la petite enfance, je les invite à investir leurs talents innés car nous sommes tous dotés de capacités de « parentage intuitif », une qualité universelle, que nous soyons ou pas nous-même parents, et qui comprend l’aptitude à chanter ou à d’adresser naturellement au tout petit de façon musicale. Pour celles et ceux qui se sentiraient mois à l’aise, je les invite à se former, ou encore mieux à faire appels à des professionnels musicothérapeute ou musiciens intervenants. Car la musique est bien plus qu’un loisir ou une activité culturelle ou intellectuelle, elle est un acteur de notre développement et nous accompagne tout au long de notre vie. Dans les chagrins comme dans les moments de joies, elle peut s’avérer être et demeurer un formidable doudou !
Stéphanie Lefebvre, je vous remercie !


