Entretien avec Nathalie Casso-Vicarini : partie 1
Crédit photo : « Ensemble pour la petite enfance »
Bonjour Nathalie Casso-Vicarini, vous êtes éducatrice de jeunes enfants et fondatrice déléguée générale de l’association Ensemble pour la petite enfance. Vous avez participé au film « les premiers 1000 jours » diffusé le 21 novembre sur France 5.
Pouvez-vous nous en parler ? Car je comprends que cette expérience a directement inspiré votre livre « Là où tout commence les 1000 premiers jours. »
Oui, en effet. Le documentaire est l’histoire d’une grande aventure avec cinq familles, six bébés et quatre personnes qui avaient à cœur de les accompagner. Le docteur Boris Cyrulnik, le professeur Antoine Guedeney, Isabelle Filliozat et moi-même. Cette aventure a été possible grâce aux liens que nous avions tissés avec la ville d’Arras. En particulier son maire et des professionnels comme Françoise et Aline qui connaissaient bien nos familles à la maison des 1000 premiers jours qui a été la première maison à accompagner la parentalité de cette façon-là. Les familles se sont portés volontaires dans cette aventure humaine.
On a beaucoup appris avec les familles et aujourd’hui, elles nous disent combien elles sont heureuses d’avoir participé. Ce n’était pas évident du tout pour elles parce que c’était un grand saut en terre inconnue. Le livre que j’ai écrit a voulu préciser, compléter les propos et parfois aussi corriger certains raccourcis présents dans le film. Ce n’est jamais facile, parce que on est parfois confrontés à l’émotion avec les parents et avec les bébés qu’on accompagne. Je me souviens par exemple d’une scène qui n’avait aucun sens. Je voulais faire une démonstration, mais les bébés étaient malades avec beaucoup de fièvre (39,5°C).
J’en avais trois avec moi et je n’ai absolument pas pu exprimer et dire que ce que je voulais vraiment expliquer. La scène du film n’a pas beaucoup de sens. Je l’ai donc reprise dans le livre pour expliquer véritablement ce qu’est la conscience de soi chez le bébé. Ce livre vient au bon moment, juste après le film, pour décrypter les séquences, parler aussi des coulisses du film, comment on s’est connu, pourquoi cette histoire s’est tissée à ce moment-là, à cet endroit-là et avec ces personnes-là.
Pour parler plus du livre, c’est un livre universel paru chez « Odile Jacob » et « le cherche midi » sur les essentiels de compréhension de ces « 1000 premiers jours ». Pourquoi le bébé possède-t-il un cerveau aussi malléable, flexible et immature ? Pour le comprendre, il faut beaucoup d’exemples avec des enfants. Ce sont des enfants qui vivent dans 5 familles. Ce sont 6 bébés que nous avons suivi pendant 6 mois. On décrypte vraiment leur vie au quotidien et ce à quoi ils sont exposés. Ces 1000 premiers jours sont la période pendant laquelle les changements de l’environnement vers le développement – ou changements épigénétiques – sont les plus importants.
Ce seront des marqueurs de résilience en particulier tout au long de la vie. Il y a beaucoup de jolies choses dans ce livre et une très belle aventure de ces 6 bébés. Ils évoluent accompagnés par Antoine Guedeney, Isabelle Filliozat, Boris Cyrulnik et moi-même. C’est aussi intéressant ce que font les parents de ce livre ! On fournit l’information, on la partage avec les parents et eux en font quelque chose à leur mesure, de là où ils sont et avec leur culture. Je trouve que c’est une démarche respectueuse et c’est la raison pour laquelle l’association « Ensemble pour la petite enfance » que je représente a la volonté d’accompagner les parents dans cette dimension-là.
Vous avez parlé de la conscience des bébés et souvent on s’imagine que le développement psychique de l’enfant commence au jour de la naissance. Mais si les 1000 premiers jours sont effectivement déterminants, le temps « in utero » y participe également. Donc dès l’utérus comment bien préparer et anticiper la naissance d’un bébé ?
C’est une grande question. En réalité, on a composé des réponses communes pendant la commission des 1000 premiers jours. On était 18 à travailler ensemble pour fournir ce rapport avec des scientifiques français sur le développement du fœtus et du tout petit pendant les 1000 premiers jours. Grâce aux travaux scientifiques, on voit que tout démarre bien plus tôt que ça. D’ailleurs, les Québécois démarrent les 1000 premiers jours dès le projet d’enfant. À partir de ce moment-là, on peut déjà préparer le milieu. C’est à dire, par exemple, arrêter de fumer ou de consommer certaines substances pour que le milieu se prépare à accueillir ce formidable début de la vie. Donc, in utero, le fœtus est déjà en contact indirect avec son monde extérieur.
Par exemple, le stress maternel a un impact majeur sur le développement du cerveau de ce bébé en devenir. Si on peut entourer cette maman d’attention privilégiée pendant ce temps de gestation, c’est très important parce que lorsqu’on agit sur le milieu, comme le dit très bien le docteur Boris Cyrulnik, on agit sur le fœtus. Puisque le milieu va agir directement, la mère va agir sur le développement du fœtus et aussi du bébé en devenir.
Donc le stress, tout comme l’exposition a des perturbateurs endocriniens ou des toxines du quotidien vont déjà avoir de l’importance sur le développement de ce bébé. Le professeur, Antoine Guedeney, parle toujours de la politesse envers les bébés. C’est un terme que j’apprécie énormément. Certes, ces bébés sont résistants, mais la période pendant laquelle ils sont le plus sensibles à l’impact environnemental est à peu près du quatrième mois de grossesse in utero jusqu’aux deux ans de l’enfant. Donc vous voyez que cela démarre tôt.
Est-ce que vous auriez des recommandations pour des parents pour faire connaissance in utero ? Pour créer des liens avec son enfant ?
Je suis universitaire en sciences de l’éducation et on m’a toujours dit : « on n’apprend pas aux parents à devenir parents, on les accompagne, on les soutient dans leur parentalité ». C’est quelque chose qui m’habite et que j’ai pu expérimenter sur d’autres territoires. J’ai travaillé dans quatre pays. En Australie j’ai vraiment complété l’apprentissage de mon métier en accompagnant dans une maison des 1000 premiers jours qu’on appelle un « cottage ». En fait, le soutien à la parentalité c’est d’abord faire confiance aux parents. Ce sont eux qui portent leur bébé, et l’accompagne. On va pouvoir partager avec eux des connaissances scientifiques. Mais il s’agit de les partager, pas de les asséner et ni non plus leur faire apprendre des choses. On leur partage et chacun s’empare de ses connaissances, en fonction de la place où il est. Ça, c’est très important.
Donc, bien entendu, on peut déjà entrer en communication avec son bébé dès les premiers temps de la grossesse. En parlant à son bébé, en commençant à investir cette relation. Le bébé y est très sensible. Dès la 27ᵉ semaine, on voit que dans l’utérus, il réagit aux stimuli extérieurs de la vie du dehors.
Dès la naissance, il y a d’autres questions qui vont se poser. Ce n’est évidemment pas exhaustif, mais ce sont des questions qui reviennent très souvent. Alors d’abord : l’allaitement ?
Là encore, l’allaitement ne doit pas être imposé. C’est très important. Chaque femme et chaque couple doit faire son choix. On peut néanmoins partager les bienfaits de l’allaitement maternel sur la santé du bébé. De la même manière, dans la mesure du possible, une femme peut choisir son accouchement. En passant par les voies naturelles, le bébé récupère des bonnes bactéries dans le passage. Tout ça, va participer à son bon développement, son développement optimum. Donc l’important, et c’est en tout cas la posture que nous avons dans les maisons des premiers jours que l’on détaille bien dans ce livre, c’est de fournir une information juste, à jour, scientifique. Pas des croyances, mais des informations qui ont été vérifiées, puis chacun fait son choix en connaissance de cause. Ça, c’est très important pour nous.
Les questions suivantes sont toujours par rapport à la naissance : quel est le besoin d’interaction ? Quel est le rôle des sens et par exemple quel est l’impact du peau à peau ?
La pratique « Kangourou » démontre combien le peau à peau va favoriser le développement du bébé. Notamment en particulier parmi les naissances de prématurés. Imaginez le choc de passer d’un milieu aquatique au monde du dehors. Surtout avec le monde aujourd’hui qui est plein d’incertitudes. Et ce monde-là va envoyer des signaux et des marqueurs importants aux tout petits. Donc, on va essayer autant que faire se peut de rentrer dans une continuité de soins, d’attention. Ce bébé était logé contre la paroi utérine. Il a été porté par cette eau à 37,5°C très tiède et agréable, juste à la bonne température du corps.
Il a été d’ailleurs « in utero », aussi en lien avec les battements de cœur de sa maman très rassurant pour lui. La naissance est quand même un sacré choc ! Il arrive dans ce monde extérieur et ce, sans pour autant retrouver ce qu’il a connu in utero. Donc plus on peut reproduire ce monde et assurer une continuité avec le peau à peau et faire ressentir au bébé ce qu’il a connu pendant neuf mois, mieux c’est. Le peau à peau c’est évidemment contre la peau du papa ou de la maman ou du deuxième parent. Les battements de cœur vont évidemment le sécuriser. Ils vont être très favorables à son développement, en particulier chez les prématurés.
Cette entretien est en deux parties.
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