Projet « L’effet facilitateur des odeurs sur la vue du nourrisson décline entre 4 et 12 mois »
1er prix 2024 de recherche scientifique de « 5 senses for kids Foundation » en partenariat avec la Société des Neurosciences
Contexte et objectif du projet
Chez le nourrisson, le sens dit « dominant » pour notre espèce – la vue – est encore peu développé. À la naissance, l’acuité visuelle est très faible et la vision des couleurs absente. Il faudra près d’un an au système visuel pour atteindre un niveau de maturité proche de l’adulte, et encore plusieurs années pour apprendre à reconnaître rapidement et précisément les objets qui composent l’environnement visuel.
À l’inverse, l’odorat – pourtant considéré comme peu utile chez l’humain – est un sens qui se développe précocement et participe activement aux premiers apprentissages. Il a par exemple été montré que le fœtus apprend les odeurs qu’il rencontre dans le liquide amniotique et qu’il peut les reconnaître après la naissance. L’odeur de la mère, en particulier, est source de familiarité pour le nourrisson, qui l’utilise notamment pour se nourrir. Cette odeur si spéciale pour le jeune enfant sert bien d’autres fonctions durant ses premiers mois de vie, comme stimuler son éveil et le rassurer dans son apprentissage de nouvelles informations.
Les précédents travaux de notre équipe ont plusieurs fois démontré le rôle de l’odeur de la mère au cours du développement du nourrisson. En particulier, nous avons montré qu’à 4 mois, la présence de l’odeur maternelle améliore la catégorisation des visages (l’aptitude à reconnaître rapidement qu’une stimulation visuelle est un visage et non une autre catégorie visuelle), une tâche encore difficile pour le jeune cerveau de 4 mois.
Dans ce projet, nous nous sommes donc demandés comment évolue cet effet facilitateur de l’odeur de la mère dans les mois suivants, à mesure que le nourrisson apprend à reconnaître les visages à travers le seul canal visuel ?

Crédit photo Diane Rekow et Arnaud Leleu
Nourrisson installé dans un siège auto face à un écran sur lequel est présentée une séquence d’images contenant des visages. Son activité cérébrale est enregistrée par EEG et il est bordé d’un t-shirt porté par sa mère pour diffuser son odeur.
Descriptif et résultats du projet
Pour répondre à cette question, nous avons à nouveau mesuré l’influence de l’odeur de la mère sur la catégorisation des visages chez des nourrissons âgés cette fois de 4 à 12 mois afin d’identifier si l’effet de l’odeur dépend du développement visuel.
Les nourrissons et leurs parents étaient reçus à notre « baby-lab » équipé pour analyser le comportement et l’activité cérébrale de jeunes enfants. C’est cette dernière qui a été utilisée pour mesurer leur aptitude à catégoriser les visages. Pour ce faire, nous utilisons l’électroencéphalographie (EEG), méthode non invasive et sans douleur qui consiste à déposer des capteurs (électrodes) sur le cuir chevelu du nourrisson pour mesurer l’activité électrique de son cerveau.
Pendant que leur activité cérébrale était mesurée, les nourrissons visionnaient des séquences d’images sur un écran. Ces images représentaient diverses catégories d’objets ou d’animaux ainsi que des visages humains qui étaient présentés à intervalles réguliers dans la séquence. Cette présentation des visages à une cadence régulière permet d’analyser la réponse du cerveau du nourrisson à cette même cadence. Cette réponse est alors un marqueur cérébral de la capacité à catégoriser les visages par rapport aux autres catégories présentées. Pendant la stimulation visuelle, les nourrissons étaient alternativement exposés à un t-shirt porté par leur mère pendant les 3 nuits ayant précédé l’expérience, ou à un t-shirt non porté qui servait d’odeur témoin.
Comme attendu, les résultats ont d’abord montré une plus forte et plus complexe réponse cérébrale aux visages entre 4 et 12 mois, indiquant l’amélioration progressive de cette aptitude à mesure que le nourrisson grandit. À l’inverse, l’effet facilitateur de l’odeur de la mère, retrouvé à 4 mois sous la forme d’une réponse aux visages plus forte en présence de cette odeur, s’amenuise peu à peu jusqu’à disparaître à 12 mois. Cela témoigne du déclin progressif de l’aide apporté par l’odeur maternelle car le système visuel du nourrisson devient capable de catégoriser les visages de lui-même. En somme, ce projet montre comment l’odorat assiste la vue chez le nourrisson jusqu’à ce que la vue atteigne une maturité suffisante.

L’effet de l’odeur de la mère (différence entre le t-shirt porté par la mère et le t-shirt témoin) sur la réponse cérébrale aux visages diminue entre 4 mois (110 jours) et 12 mois (380 jours).
Impact du projet
La manière dont les sens interagissent au cours du développement de l’enfant a toujours questionné et fasciné les scientifiques. À travers ce projet, nous montrons comment l’intégration entre les sens est utile au développement sensoriel du nourrisson, les sens les plus matures, comme l’odorat, aidant les sens moins développés, comme la vue, jusqu’à ce que ces derniers deviennent capables de reconnaître l’environnement par eux-mêmes. Il est donc important, pour accompagner le développement sensoriel des jeunes enfants, de prendre en compte tous les sens et leurs relations, et de ne pas négliger un sens comme l’odorat, pourtant si souvent relégué au second plan pour les jeunes enfants.



