Projet « Impact d’une prématurité modérée sur les capacités d’apprentissages de nouveaux mots à 18 mois »
2e prix 2024 de recherche scientifique de « 5 senses for kids Foundation » en partenariat avec la Société des Neurosciences
Ce projet a été réalisé par Clément François chercheur CNRS au Laboratoire Parole et Langage (Aix-en-Provence), sous la direction d’Antoni Rodriguez-Fornells et de Laura Bosch de l’université de Barcelone.

Les enjeux
Une naissance prématurée peut avoir un impact considérable sur le développement précoce des bébés. Environ 30 % des grand prématurés (c’est-à-dire nés entre 28 et 32 semaines d’âge gestationnel) présentent des retards d’acquisition du langage à deux ans. Cependant, nous en savons encore trop peu sur le développement du langage chez les prématurés modérés à tardifs (c’est-à-dire entre 32-36 semaines de gestation). Cela est particulièrement important puisque la prématurité modérée à tardive correspond à plus de 80% des naissances prématurées dans le monde chaque année. Par conséquent, l’identification de marqueurs précoces de déficits ou de retards de langage ultérieurs est cruciale pour mieux comprendre l’impact à long terme de la prématurité sur les fonctions cognitives et langagières.
Suite à nos travaux antérieurs suggérant un déficit d’encodage des sons de parole chez les nouveau-nés atteints de prématurité modérée (François et al., 2021), une question cruciale abordée dans notre projet est de savoir si la prématurité modérée à tardive impacte négativement l’apprentissage associatif de nouveaux mots.
L’apprentissage de paires minimales, un mécanisme crucial pour l’acquisition du vocabulaire
La capacité à construire son vocabulaire est un aspect essentiel de l’acquisition du langage qui a été un sujet central pour les neurosciences cognitives modernes, tant du point de vue du développement que du point de vue neurocognitif. L’émergence d’associations entre un mot et un objet ainsi que leur stockage en mémoire sont des étapes cruciales que les enfants doivent franchir lors de l’acquisition de leur premier vocabulaire réceptif. Ainsi, cette capacité d’association est un mécanisme d’apprentissage primordial expliquant en partie l’augmentation rapide du vocabulaire au cours des deux premières années de vie. Un autre aspect fondamental pour un développement lexical optimal repose sur la capacité à distinguer deux mots qui ne diffèrent que par un seul segment, formant ainsi une paire minimale (comme par exemple les mots balle et dalle).
Projet
Nous avons utilisé un paradigme comportemental fréquemment utilisé pour mesurer l’apprentissage de nouvelles associations mots-objets à un âge précoce afin de mieux caractériser l’impact de la prématurité sur le développement d’une fonction essentielle de l’apprentissage du langage. Plus précisément, nous avons recueilli des mesures de temps de fixation visuelle à l’aide d’une petite caméra cachée au-dessus d’un écran que les enfants regardaient durant la tâche d’apprentissage de nouveaux mots formant une paire minimale « bali » et « pali ».

Notre approche et les résultats préliminaires
Nous avons recruté18 enfants nés à terme et 18 prématurés modérés à tardifs (âge gestationnel moyen à la naissance de 33,7 semaines) à 18 mois d’âge corrigé. Après avoir été exposés aux nouvelles associations pendant une phase d’apprentissage, les enfants effectuaient une phase de reconnaissance de ces associations. Afin de nous assurer qu’ils faisaient la tâche correctement, les enfants devaient non seulement reconnaitre les nouvelles associations mais également reconnaitre des associations familières. Alors que la reconnaissance des mots familiers était préservée, nous avons observé un impact négatif de la prématurité tardive à modérée sur la reconnaissance de la paire minimale différant par une caractéristique acoustique fine. Plus précisément, nous avons constaté que les enfants nés à terme reconnaissaient bien la paire minimale, alors que le groupe de prématurés ne le pouvait pas. Le fait que les prématurés n’aient pas pu apprendre et reconnaître les paires minimales confirme non seulement les études antérieures montrant que les prématurés peuvent avoir de faibles capacités de traitement de la parole (François et al., 2021 ; Paquette et al., 2015), mais il suggère également que la prématurité tardive à modérée peut avoir un impact négatif sur l’apprentissage associatif des mots, en particulier lorsque les propriétés des stimuli sont trop contraignantes. Ces résultats fournissent des preuves supplémentaires quant au rôle que la naissance prématurée peut avoir sur l’interaction entre la perception d’une différence phonologique subtile, la perception phonétique précoce et les mécanismes d’apprentissage associatif.
Impact du projet
Malgré une taille d’échantillon plutôt modeste, nos résultats suggèrent que l’apprentissage de paires minimales peut être un outil expérimental utile pour mieux comprendre l’impact d’une naissance prématurée sur les compétences linguistiques de base et cela avant l’émergence de fonctions cognitives supérieures au cours du développement précoce. Nos résultats éclairent le rôle critique que la naissance prématurée peut avoir sur l’interaction entre la perception phonétique précoce et les mécanismes d’apprentissage associatif de base requis pour un développement optimal du langage. Par ailleurs, l’étude des prématurés modérés à tardifs est pertinente pour éclairer les modèles neurodéveloppementaux du traitement du langage en fournissant des informations pertinentes sur l’interaction entre l’expérience précoce et la maturation cérébrale.


