La Semaine du Son de l’Unesco du 15 au 28 janvier 2024 – suite
Nous avons le plaisir de poursuivre l’interview de Christian Hugonnet Président fondateur de la « Semaine du Son de l’UNESCO ».
Y-a-t-il des conseils que vous pourriez prodiguer aux parents et éducateurs/trices, aux professionnels/les de jeunes enfants dans la relation qu’ont les petits avec l’univers sonore ? Leurs apprentissages fondamentaux et leur insertion dans le milieu familial et social ?
Il faut leur apprendre la nuance. C’est la première chose. C’est-à-dire qu’il faut d’abord que les parents parlent à leurs enfants. C’est fondamental. Il faut que les enfants aient la notion de repère : un repère « bio », un repère de langage vrai, pas enregistré. Il faut que les parents parlent à leurs enfants, ils doivent chanter aussi auprès de leurs enfants. D’emblée, il doit y avoir en fait une relation très directe par le sonore entre les parents et l’enfant. C’est vraiment un point essentiel. Et puis il faut jouer, faire jouer. Il faut faire écouter à un enfant des sons naturels, des musiques qui sont entendues acoustiquement, naturellement. Ce sont des choses fondamentales.
L’autre point important, c’est d’éviter par exemple ces jeux pour enfants qui se trouvent au-dessus des berceaux où il n’y a pas de basses, pas d’aigües : il n’y a que des médiums. De plus, les sons sont hyper compressés, et un enfant qui entend ces sons à longueur de journée se construit des références qui ne sont pas bonnes. Donc au moins pour ces 2 raisons, je crois qu’il est important d’éviter ces sources sans valeur musicale. Encore une fois, rappelons l’importance du langage : savoir parler ou chanter à son enfant, c’est l’emmener sur des sources de qualité sonores naturelles.
Vous avez rapidement mentionné que les enfants, même petits, sont de plus en plus axés sur l’audiovisuel et sur les multimédia. Pouvez-vous développer l’idée que le sonore est un élément déterminant de la perception visuelle ?
Pour s’en rendre compte, on voit bien à quel point le podcast fonctionne bien parce qu’en fait, il se trouve que lorsqu’on entend un son on se construit une image, et l’image est nôtre, elle est personnelle. C’est une liberté indiscutable que l’on n’a pas avec les visuels qui nous sont imposés, si je peux dire . C’est un point extrêmement important. Entendre c’est le sens naturel de la vie : j’entends d’abord, et je porte mon regard sur ce que je viens d’entendre. Quand je traverse une rue, j’entends avant de regarder. Il faut aussi savoir que l’oreille a une perception à 360°, alors que l’œil se situe sur 30° seulement. L’oreille a toujours été un élément d’alerte extrêmement important qui s’est un petit peu « ratatiné » avec le temps parce qu’on a moins d’ours et de loups autour de nous. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui il y a des accidents parce que des personnes portent des baladeurs sur les oreilles en traversant la rue. Le son est un élément de construction du visuel.
Le son prend du temps
Un autre point également : c’est que le son prend du temps. Aujourd’hui les images défilent à une rapidité vertigineuse, et ce dans beaucoup de films pour enfants. Les enfants sont ainsi habitués à voir les images défiler très vite. Or le son a besoin du temps : on a besoin de temps pour comprendre. Le sonore reste un élément qui fixe le temps. On a besoin plus que jamais aujourd’hui d’avoir ce temps fixé. Plus personne ne s’écoute parce qu’on a plus le temps de fixer quoi que ce soit. Or le sonore c’est l’instrument par excellence qui fixe le temps. C’est ce qui nous oblige à être là, et pas ailleurs, c’est ni hier, ni demain : c’est maintenant. Vous voyez, si on n’a plus le temps de se parler, on risque même de ne plus exister. Donc on est là sur un terrain extrêmement important.
Pouvez-vous s’il vous plaît nous en dire plus sur la façon dont le sonore constitue une porte d’accès au monde ?
La concentration
Attention à ne pas tomber dans cette caricature complètement dingue qui consiste à imaginer que l’environnement n’a pas d’influence sur la réflexion. Non, l’environnement joue sur la réflexion de chacun, sur la capacité à réfléchir. Il y a des gens qui vous disent que le bruit ne leur pose pas de problème. Mais si, bien sûr que oui ! Il y a aussi des jeunes qui vous disent qu’ils ont besoin de musique pour réfléchir. Mais en fait, non, c’est le calme, pour ne pas dire le silence qui permet justement de se concentrer.
L’environnement sonore a un rôle déterminant dans sa capacité à apporter à chacun le calme qui lui va bien, au moment où il le souhaite, tout simplement.
Maintenant l’excitation d’un lieu est aussi nécessaire. Il faut aussi qu’il y ait des lieux où les enfants puissent également crier. Ils ont besoin aussi de s’exprimer, et il faut qu’ils le fassent. Mais on peut aussi traiter acoustiquement les lieux. C’est ce dont en parlait justement au lycée La Bruyère. Souvent la cour de récréation n’est pas un lieu acoustique. En quittant ce lieu, il est difficile de ramener les enfants dans les classes et de leur permettre de se concentrer. Donc la concentration est liée à l’environnement, on ne peut pas dire le contraire.
La perception environnementale du lointain
Autre point auquel je pense, qui me paraît essentiel, et dont on ne parle pas beaucoup. C’est la perception environnementale du lointain. En ville, les enfants n’ont pas un son qui leur vient de plus loin que le trottoir d’en face. La notion de profondeur n’est pas acquise. Il faut emmener les enfants par exemple à la campagne, aussi pour qu’ils entendent un son qui vient très loin. C’est ça l’éducation également.
Les jeux avec le sonore
Puis il y a des jeux intéressants qui consistent à fermer les yeux. Ecouter les bruits de pas, par exemple, en disant « Tiens, ce bruit de pas, qui c’est ? C’est un homme ? Une femme ? De quel type de chaussures s’agit-il ? D’où vient cette personne ? Où va-t-elle ? Et quelle est la nature du sol ? … Ainsi, on amène un enfant à être conscient que son environnement va jouer sur sa perception. Savez-vous que sur un seul pas, il y a environ 24 signifiants : quand j’entends une personne marcher, j’ai 24 informations sur cette personne. Tout cela mérite d’être dit, et l’environnement joue aussi sur le comportement.
Le bruit et la violence
Il est clair que le bruit génère la violence, c’est-à-dire des mouvements un peu désordonnés. On en parlait l’autre jour avec le proviseur de ce collège. Il y a un passage entre 2 couloirs avec un plafond qui est très bien traité acoustiquement. Dans ce collège il y a aussi un passage avec une grosse réverbération, là où on monte les escaliers : et là il n’y a donc pas d’acoustique. Quand les élèves passent dans ces escaliers, les enfants se bousculent. C’est là où ils ont le plus de brutalité, et où il y a le plus d’élèves qui se font mal.
Un effet de masque
Donc derrière l’environnement sonore, y a un effet de masque qui est très important. Un effet de masque qui fait que, finalement, le bruit masque le caractère individuel de chacun. Si vous avez du bruit, « vous n’existez plus », c’est comme si vous étiez habillé avec du gris. Quand vous arrivez dans le silence, ou dans le calme, là vous existez pleinement, et à ce moment-là vous reprenez des couleurs. Ça veut dire aussi que le calme n’est pas toujours facile à maîtriser. Pas toujours facile à vivre non plus, parce que dans le calme on est beaucoup plus montré du doigts que dans le bruit. Ce que vous dites devient plus important dans le calme que dans le bruit. Évidemment, puisque vous êtes entendu ! Donc quelquefois, il y a des gens qui préfèrent le bruit pour ne pas être entendu. Préférer le silence ça veut dire exister un peu plus, et c’est important. Donc si on veut amener les jeunes enfants à exister vraiment, on a peut-être intérêt à les mettre un peu dans le calme.
C’est en ce sens-là que l’on souhaitait avoir une soirée sur ces sujets. Pour éviter qu’il y ait un endommagement de l’audition dès le plus jeune âge, et également pour considérer la musique comme un élément extrêmement bienfaiteur de notre développement. Encore une fois, arrêtons de construire, de parler de musique comme d’un élément de culture mais plutôt comme un élément sanitaire et sociétal. Avec Alzheimer, on sait bien à quel point des personnes âgées renaissent quand elles écoutent des sons qui sont censés les ramener à des époques très anciennes. C’est vrai qu’on les fait revenir avec le son, avec la musique. Et tout ça a du sens. Donc tout ce qui est enregistré dans la toute première partie de l’enfance à un rôle extrêmement important.
Merci Christian Hugonnet ! Et je renouvelle l’invitation auprès de nos internautes à découvrir le programme et à s’inscrire à ces évènements gratuits qui sont proposés à Paris, et en régions.
Et je rappelle encore que ces évènements ont lieu en Belgique, au Canada, au Liban, en Egypte, en Guinée Equatoriale, en Espagne, au Royaume-Uni au Brésil et en Tunisie.
Pour en savoir plus sur la semaine du son de l’Unesco du 15 au 28 janvier 2024, et pour découvrir l’interview d’André Manoukian, parrain de cet évènement. Cliquez ici