La Semaine du Son de l’Unesco du 15 au 28 janvier 2024
Bonjour Christian Hugonnet, vous êtes Président fondateur de la Semaine du Son de l’Unesco.
Comme vous le savez, 5 senses for kids Foundation soutient toute action éducative, culturelle, sociale ou scientifique qui contribue à l’épanouissement des enfants en valorisant la multi-sensorialité comme base fondamentale de leur développement et de leur ouverture sur le monde. Nous avons donc le plaisir de vous interviewer aujourd’hui.
Pour aller plus loin dans la compréhension de l’événement de « La semaine du son de l’Unesco », pouvez-vous rappeler à nos internautes quand, et comment cette semaine a été créée et avec quels objectifs ?
Le son est un déclencheur d’images
J’ai lancé « La semaine du son » il y a 21 ans. A l’époque, je me suis dit qu’il était bon d’amener tout un chacun à réfléchir sur le sens du sonore, et à remettre le son là où il doit être : c’est-à-dire un élément qui nous permet de de déclencher l’image. Le son est un déclencheur d’images : j’entends d’abord pour mieux voir le monde, et ce n’est pas l’inverse qui doit être fait. « Ce n’est pas l’image qui mène le monde » disait Jacques Attali qui était parrain de « La semaine du son » il y a quelques années. C’est le son qui déclenche l’image, mais personne n’en est vraiment conscient. C’est pour cela d’ailleurs que le fait de perdre ce sens-là, est un élément fort parce que cela nuit effectivement au développement dans nos sociétés. A partir de là, je me suis dit : « Qu’est-ce que l’on peut mettre dans ce « sonore » de manière à ce qu’on puisse être compréhensible ? » et pour être compréhensible, il fallait trouver 5 thèmes qui me paraissaient évidents et qui nous permettaient d’être entendus.
L’enregistrement et la production du son
2e point important : l’enregistrement et la production du son. Il faut que l’on sache reproduire, enregistrer, reprendre les sons car ces sons ont remplacé les sons naturels. Maintenant tous les jeunes commencent à entendre d’abord une clarinette, un piano ou n’importe quel instrument à travers une oreillette. On démontre depuis plusieurs années que les sons ne sont plus ce qu’ils étaient, et on a ainsi une dérive totale de nos critères d’évaluation, de nos repères : on ne sait même pas ce que c’est qu’un bon son. Comme on voit disparaître les sons naturels, il faut savoir effectivement apprécier les sons qui ne le sont pas. Avec Universal, on travaille là-dessus pour développer un label de qualité sonore.
La santé auditive et la compression
3e point important : la santé auditive. Il faut que nos oreilles soient maîtrisées, et en tout cas qu’elles ne soient pas agressées continuellement. C’est un point tout à fait essentiel, alors qu’aujourd’hui la jeunesse est en train de perdre les oreilles suite à des écoutes prolongées avec des sons surcompressés, en dynamique, qui sont complètement bloqués vers le haut, tout le temps. A ce propos, je crois qu’il faut dire deux choses de ce que c’est qu’une compression dynamique. La compression est arrivée dans les années 60 quand on a vu arriver les groupes anglo-saxons, et il a fallu mixer à ce moment-là une guitare avec une batterie, et on ne savait pas faire. Si on remontait le niveau de la guitare, on saturait l’enregistrement parce qu’il y a toute une partie dans un signal musical de guitare qui ne s’entend pas. Il a donc fallu écraser, transformer la guitare et la remonter par rapport à la batterie. Aujourd’hui il n’y a pas un seul enregistrement qui n’utilise pas la compression. Il y a beaucoup de voix qui n’auraient jamais existé sans la compression. Et à partir de là, les publicitaires dans les années 2000 se sont mis à tout compresser en remontant tout vers le haut pour être au-dessus de tout le monde tout le temps. C’est comme ça que les publicités étaient entendues à des niveaux très forts par rapport au reste du programme. Après, tout le monde s’est mis à compresser pour être au-dessus de tout le monde. On vit, en fait, une guerre des niveaux qui est une guerre terrible où tout le monde veut être au-dessus de tout le monde. Cela finit par asphyxier les neurones de l’audition. On a fait des expériences l’an dernier avec le Professeur Paul Avan où les neurones de l’audition sont mises à rude épreuve, parce que l’énergie est constante, en permanence. Il y a plus de micro-silence, et du coup les protections neuronales tombent, et in fine ce qu’on appelle le reflexe stapédien n’est plus opérationnel. Ce réflexe stapédien permet de réduire l’oreille quand on a des sons très forts qui vous arrivent, et si nous perdons cette capacité nous avons des acouphènes et des problèmes d’audition. Donc vous voyez en quoi la compression est un point essentiel.
La santé évidemment dépend de tout ce qu’on vient de dire : environnement sonore, enregistrements … Sur 2 milliards d’individus, aujourd’hui une personne sur 4 a des problèmes d’audition. C’est donc extrêmement grave. Nous travaillons sur les problèmes de santé auditive avec l’OMS.
Le rapport image et son
Le 4e point qui est aussi important, c’est le rapport image et son. Nous considérons donc que le son est un déclencheur de l’image, et pas l’inverse. Entendre c’est mieux voir le monde. On travaille avec Cannes là-dessus avec Costa Gavras et Thierry Frémaux : on a lancé le prix de la meilleure création sonore, et ainsi on essaie de valoriser justement l’importance du sonore dans un film. On a aussi lancé un concours qui s’appelle « Quand le son créé l’image ». Cette année on a demandé à Thomas Dutronc de faire une musique d’1 minute 40 à partir de laquelle on demande à tout un chacun de réaliser un film en rajoutant uniquement des images sur la même bande-son de 1’40. Cela donne des résultats absolument incroyables avec des films qui arrivent du monde entier, à partir de la même source sonore. Pour dire que le son est créateur d’images.
La musique
Le dernier point, et pas des moindres : c’est la musique. En France nous sommes à moins de 1% de musiciens, de personnes qui jouent de la musique. Aux États-Unis, en Angleterre, en Allemagne, dans les pays du Nord on est plutôt à 30%. On ne sait donc pas ce que c’est qu’un instrument, ce que c’est qu’un décibel, un niveau, un timbre.
On sait que jouer d’un instrument de musique n’est pas un problème culturel, un avantage culturel mais c’est un avantage sociétal parce que quand on joue un instrument de musique, on joue avec les autres. On est en relation directement avec les autres. On ne peut pas jouer sans l’autre, et ça c’est un point extrêmement important.
La charte et la résolution 39C/59
Pour toutes ces raisons « la semaine de son » est structurée sur 5 thèmes qui font partie d’une charte, et cette charte a été présentée à l’UNESCO en 2017. Elle a été validée par 195 pays pour devenir une résolution – la résolution 39C/59 – qui dit l’importance du son dans le monde actuel et l’importance de promouvoir les bonnes pratiques. Ensuite, en 2019, nous avons été appelés « Semaine du son de l’UNESCO ».
Il est mentionné dans votre site internet que j’ai lu avec attention que mercredi 17 janvier de 19h00 à 21h00 à l’amphithéâtre Laroque un tour d’horizon sera proposé sur la multitude d’impacts que peut avoir le sonore sur le cerveau. Que pouvez-vous d’ores et déjà nous dire sur cet impact sur le cerveau des tous petits ?
C’est une bonne question. Le sonore impacte directement le cerveau. La zone dédiée au sonore est une des zones les plus importantes du cerveau par rapport à l’image. Nous souhaitons insister sur la relation entre musique et cerveau, et en quoi la musique est un élément de décontraction très important pour l’adulte, et pour l’enfant en particulier, à condition qu’il soit maîtrisé, que la qualité du son soit au rendez-vous surtout, qu’il n’y ait pas de surcompression du son, qu’on ne soit pas sur un son qui ne désemplit jamais et qui finit par abîmer justement l’audition. C’est en cela que l’on va reparler de ce fameux label qui est destiné aux enfants, pour conserver une qualité d’écoute optimale – combien même on écoute des musiques sur des temps prolongés, ce qui arrive aujourd’hui assez souvent. De plus, que se passe-t-il quand on regarde et on écoute pendant très longtemps avec des oreillettes des jeux vidéo qui sont souvent construits sur des sons et des musiques qui sont là aussi extrêmement compressés ? Il faut faire très attention à cela.
C’est en ce sens-là que l’on souhaitait avoir une soirée sur ces sujets, pour éviter qu’il y ait un endommagement de notre audition dès le plus jeune âge, et également considérer la musique comme un élément extrêmement bienfaiteur de notre développement. Encore une fois, arrêtons de construire, de parler de musique comme d’un élément de culture mais plutôt comme d’un élément sanitaire si je peux dire, et sociétal. Avec Alzheimer, on sait bien à quel point des personnes âgées renaissent quand elles écoutent des sons qui sont censés les ramener à des époques très anciennes. Et c’est vrai qu’on les fait revenir avec le son, avec la musique. Et tout ça a du sens. Donc tout ce qui est enregistré dans la toute première partie de l’enfance à un rôle extrêmement important.
Pouvez-vous s’il vous plaît nous en dire plus sur la façon dont le sonore constitue une porte d’accès au monde ?
Le sonore c’est la relation à l’autre
Le sonore c’est la vie. C’est la relation à l’autre. Il n’y a pas plus direct que le sonore pour être en relation avec l’autre. Les 5 sens sont évidemment impliqués dans cette relation au monde, avec évidemment la vue, le toucher. Mais le sonore, c’est vraiment la relation à l’autre par essence : savoir écouter l’autre, savoir parler à l’autre, savoir comprendre des positions différentes c’est le b.a.-ba de la relation au monde. De cela, il n’en est malheureusement plus beaucoup question aujourd’hui, et nous sommes un peu inquiets de cette situation : on ne touche plus beaucoup, et on touche son écran en croyant que cet écran nous permet d’être en relation avec le monde, alors que lorsqu’on est dans la rue, on est même plus capable de serrer la main de qui que ce soit. D’une certaine manière aujourd’hui on ne se voit plus, on ne touche plus, on ne goûte plus et on entend plus. Donc c’est aussi cela dont il est question aujourd’hui, en relation avec les 5 sens, qui sont d’une manière générale en train d’être un peu « écrasés », si je puis dire. Le sonore est un des aspects les plus évocateurs justement de cette réduction de ce sens élémentaire, qui d’une certaine manière nous est ôté. On nous enlève cette dimension-là.
Sachons écouter un son de qualité
Donc sachons écouter un son de qualité : sachons également reconnaître un son qui est écrasé, qui ne respire plus, qui n’a plus de micro- silences, qui n’a plus de niveau faible, qui n’a que niveaux forts. Essayons de retrouver ce que c’est qu’un son de qualité. Qu’est-ce qu’un lieu où l’on peut réfléchir, entendre l’autre avec distinction et avec intelligence ? Comment maîtriser la capacité que l’on a à aller acheter le bon produit dans un supermarché où nous sommes inondés de musique ? Là où je veux acheter une brosse à dents, je ressors avec une savonnette : qu’est-ce qui s’est passé ? Il est plus que nécessaire que le sonore soit maîtrisé pour nous, pour nos jeunesses, pour nos jeunesses à venir, et qu’on puisse sentir à quel point ce sonore est un élément de relation à l’autre et au monde.
Découvrez également sur le site de 5 senses for kids Foundation la deuxième partie de l’interview de Christian Hugonnet. Cliquez ici
J’invite nos internautes à découvrir le programme et à s’inscrire à ces évènements gratuits qui sont proposés à Paris, et en régions. Et je rappelle aussi que ces évènements ont lieu en Belgique, au Canada, au Liban, en Egypte, en Guinée Equatoriale, en Espagne, au Royaume-Uni au Brésil et en Tunisie.
Pour en savoir plus sur la semaine du son de l’Unesco du 15 au 28 janvier 2024, et pour découvrir l’interview d’André Manoukian, parrain de cet évènement. Cliquez ici