La gestion des émotions de l’enfant : un défi pour petits et grands !

Que nous soyons parents, éducateurs, ou autre personne responsable d’un enfant, nous nous trouvons souvent désorientés et parfois impuissants devant les manifestations d’émotions auxquels ceux-ci nous exposent. 

Au départ de la vie, elles s’expriment d’abord à l’état brut. C’est la tâche complexe de ceux qui entourent l’enfant de comprendre ce que celui-ci signal quand il s’agite, crie, pleure ou sourit. C’est aussi leur tâche de trouver l’action propre à rétablir l’harmonie dans le rapport de l’enfant au monde, et c’est encore leur mission de conduire l’enfant le long du chemin qui l’amènera progressivement à manifester ses émotions sous formes socialisées.

Qu’est-ce qu’une émotion ?

Même si les émotions et les sentiments se ressemblent, ces mots désignent des concepts un peu différents. Les émotions sont des réactions spontanées à une situation, à un évènement interne ou externe, qui durent peu de temps. Elles peuvent entraîner des manifestations physiques (pâleur, rougissement, agitation, accélération des battements du cœur et de la respiration, etc.) et psychologiques (pensées négatives ou positives, changement d’humeur).  La joie, la peur et la colère en sont des exemples.

Définition des sentiments

Les sentiments quant à eux, renvoient à un état affectif plus durable qui évolue avec le temps (par exemple : l’amour, la haine, la confiance, etc.). Bien qu’ils soient différents, les émotions et les sentiments sont intimement liés. Les sentiments font vivre toutes sortes d’émotions et à l’inverse, les émotions peuvent générer des sentiments. 

Par exemple, si votre tout-petit a eu peur du chien du voisin (émotion), qui a aboyé après lui, il pourrait par la suite développer de l’insécurité (sentiment) à la seule vie d’un chien. 

Mais alors : qu’en est il du développement des émotions ? 

La première année de vie de l’enfant, vont se développer ce que l’on nomme les émotions primaires, aussi appelées émotions de base ou universelles (Paul Ekman, 1970). On dit d’une émotion qu’elle est universelle si, quand une personne la ressent, elle exprime cette émotion de la même manière sur son visage que n’importe quel autre humain, quelque soit sa culture ou ses origines.

D’après les études menées par Ekman, chaque émotion primaire est associée à une expression faciale particulière et est commune à tous. Par exemple, lorsqu’on est joyeux, on sourit, et les coins de la bouche se lèvent. 50 ans plus tard, sa théorie est toujours d’actualité et reste soutenue par la communité scientifique.

Les six émotions principales

-La joie

– La tristesse

-Le dégoût

-La peur

-La colère et surprise apparaissent au cours de la 1ère année de vie. 

Les émotions secondaires

Les émotions secondaires, plus complexes, apparaissent au cours de la deuxième année : au moment où votre enfant prend conscience qu’il est différent des autres et qu’il est une personne à part entière (c’est d’ailleurs à cette période qu’apparait le « non »). Cette découverte amène votre tout-petit à ressentir des émotions liées à la conscience de soi, comme la gêne ou la jalousie. Ces émotions ne sont pas aussi facilement identifiables que les plus primaires. Elles sont apprises, mentales et ne remplissent pas de fonction biologique adaptative. Elles varient en fonction des sociétés, des cultures et des groupes auxquels nous appartenons. Par exemple, la honte serait une émotion secondaire issue d’un mélange de peur et de colère et l’optimisme proviendrait d’un mélange d’espoir et de joie.

Un peu plus tard, au cours de sa troisième année, il expérimente des émotions secondaires qui nécessitent de comprendre certaines règles, normes et objectifs à atteindre. C’est le cas de la culpabilité, de l’embarras et de la fierté. Par exemple, si votre enfant sait qu’il ne doit pas dessiner sur les murs et qu’il désobéit à cette règle, il peut se sentir coupable. Et s’il réussit à conduire son tricycle ou à assembler un grand casse-tête après beaucoup d’efforts, il est fier de lui. Au fur et à mesure que votre enfant grandit et développe sa pensée, il perçoit et interprète les situations différemment, ce qui a un effet sur ses réactions émotives.

Par exemple, votre tout-petit de 3 ans peut avoir très peur quand il voit une personne déguisée en monstre. Mais à 5 ans, la même personne ne l’effraie plus, car il sait qu’elle porte un déguisement. Avec le temps, il devient aussi plus habile à maîtriser ses émotions, car il comprend de mieux en mieux le monde qui l’entoure. Il établit des relations entre les émotions manifestées et les états mentaux, et sait qu’on peut ressentir des émotions sans les montrer. Peu à peu, il exprime ses frustrations de façon verbale. A 4 ans il commence à mieux accepter ses frustrations. 

Vers l’âge de 5 ans, les enfants parviennent davantage à contenir leurs émotions : il enrichit son répertoire de communication émotionnelle. Le réglage de ses émotions est influencé par la culture et l’éducation que lui apporte la société et la famille à laquelle il appartient. Il apprend de son entourage ce qui est dangereux, ce qui est triste, ce qui est joyeux, et il se créé un cadre affectif. 

Le rôle du cerveau dans les émotions

Le saviez -vous ? Le cerveau de l’enfant est « immature » jusqu’à 5-6 ans. L’enfant vit alors ses émotions sans filtre et traverse de véritables « tempêtes émotionnelles ». 

En effet, le cerveau humain est composé de trois parties distinctes :

-le cerveau reptilien ou archaïque

-le cerveau limbique (ou émotionnel)

-le néocortex, ou cerveau supérieur.

Un enfant est dominé par son cerveau reptilien et limbique jusqu’à ses 5 ans environ. Ces deux parties du cerveau contrôlent nos instincts primaires, et nous permettent de ressentir les émotions et de les mémoriser. Ce n’est que passé cet âge clé des 5-6 ans que le néocortex commence à intervenir, et il n’arrive à maturité seulement vers 25 ans ! C’est le siège du raisonnement. Il intervient dans les fonctions cognitives supérieures telles que la conscience, la réflexion. C’est pour cela que dans ses premières années, l’enfant ressent des tempêtes émotionnelles. Toutes ses émotions sont très intenses car il n’a aucun moyen de les canaliser. C’est pourquoi il est sujet aux colères, aux angoisses, aux gros chagrins… Pendant ses cinq premières années de le le cerveau de l’enfant va connecter entre eux les quelques 100 milliards de neurones déjà présents avant la naissance, au gré des nouvelles informations perçues. 

L’adulte a donc un rôle déterminant dans la création de ces connexions. Par le jeu, la stimulation, l’encouragement, la compréhension de l’enfant : chaque adulte aide un peu plus l’enfant à se développer, à comprendre le monde qui l’entoure et à s’y adapter. Les premières années de vie sont une période cruciale : ce sont donc les expériences les plus fréquentes (et non les meilleures) chez le petit enfant (jusqu’à environ 5 ans), qui vont conditionner le développement de son cerveau.

Le développement de la compétence émotionnelle

A partir de 5-6 ans, le cerveau commence à faire le tri : les connexions les plus utilisées se renforcent, et les connexions les moins utilisés disparaissent. C’est ce qu’on appelle l’élagage synaptique. 

C’est durant cette période cruciale du développement que l’adulte doit aider l’enfant à développer son “intelligence émotionnelle”, sa “compétence émotionnelle”.

On entend souvent parler de gestion des émotions, mais moins de l’importance de développer sa compétence émotionnelle. Pourtant, savoir gérer ses émotions n’est que l’une des trois étapes de la compétence émotionnelle. Cette dernière comprend la gestion des émotions, l’expression des émotions et la connaissance des émotions. C’est en développant cette compétence dans son ensemble que votre enfant sera capable, petit à petit, de mieux gérer ses émotions. 

Mais alors : comment aider son enfant ?

Il est essentiel de répondre à ses besoins

Un bébé ça pleure, et parfois beaucoup ! Il est nécessaire de répondre à sa détresse en le réconfortant et en lui donnant les soins appropriés. S’il n’est pas réconforté, il pourra vivre de l’insécurité, du stress et développer une faible estime de lui. Il lui sera ensuite plus difficile de réguler ses émotions et de se préoccuper de celles de son entourage. « Le bébé seul n’existe pas » (Winicott), il existe grâce aux réponses que lui donne l’adulte.  

N’oubliez pas que vous êtes un modèle pour votre enfant

Si vous canalisez vos émotions, il aura tendance à faire de même. Par ailleurs, il est difficile d’exiger de son enfant qu’il cesse ses colères si nous nous emportons facilement. Il est important d’exprimer à haute voix ce que nous faisons pour nous sentir mieux quand quelque chose nous dérange. En effet, en cachant nos émotions, il arrive que nous les accumulions à l’intérieur de nous, au risque qu’elles ne ressortent sous des formes variées ou retombent sur d’autres personnes. Une émotion adaptative se libère en quelques minutes quand elle est exprimée. Tandis qu’une réaction émotionnelle parasite peut durer bien plus longtemps. 

Mettez des mots sur les émotions

Nommer vos émotions et celles que vous observez chez votre enfant « Je vois que tu es en colère parce que ton frère refuse de te prêter son camion ». Ainsi, l’enfant apprend à mettre des mots sur ce qu’il ressent. Vous pouvez commencez dès sa naissance. Il apprendra ainsi le vocabulaire des émotions en même temps que le langage. 

Prenez au sérieux les émotions de votre enfant

Dites à votre enfant que vous comprenez qu’il puisse être triste, bouleversé, en colère ou jaloux dans telle ou telle situation. : le soulagement émotionnel est primordial chez l’enfant. Il se sentira compris et réconforté. Il aura alors moins tendance à manifester ses émotions de manière inacceptable. Évidemment, si son comportement est inadéquat, il faut le lui dire. En revanche, il est préférable d’éviter les réflexions banales qui peuvent persuader l’enfant que ses émotions sont illégitimes :« Ne pleure pas » / « sois courageux », etc. En réprimant ses émotions, l’enfant risque de ne pas être capable de gérer le langage émotionnel. En écoutant aujourd’hui les enfants et en leur donnant les moyens d’exprimer leurs émotions quelles qu’elles soient, ce sont aux adultes de demain que nous rendons service.

Aidez votre enfant à reconnaitre ses émotions

Votre enfant reconnaîtra mieux les émotions si vous lui faites remarquer le langage corporel qui y est associé. Savoir « lire » sur le visage facilite les relations avec les autres : cela permet d’adapter son comportement à la situation. Vous pouvez profiter des moments où vous faites la lecture à votre enfant pour le faire parler des émotions des personnages par exemple. 

Aidez votre enfant à développer son empathie

C’est cette capacité à percevoir les sentiments et les émotions d’une autre personne et à se mettre à sa place, se développe vers 4 ans à 6 ans. Toutefois, les enfants peuvent commencer à poser des gestes empathiques bien avant, lorsqu’ils reconnaissent une émotion qu’ils ont déjà vécue chez une autre personne. À 18 mois, certains consolent un ami en lui apportant un doudou ou en lui faisant un câlin, il est important de valoriser les gestes d’empathie de votre tout-petit, car il démontre ainsi qu’il se préoccupe des autres. Vous pouvez aussi attirer son attention sur les réactions des autres à son comportement. Il réalisera que ses actions peuvent avoir des conséquences sur eux et qu’ils peuvent éprouver d’autres besoins et d’autres envies que lui.

Et la colère de l’enfant dans tout cela ?

Votre enfant hurle, se roule par terre, tape du pied? Attendez que la tempête passe. Si vous tentez de le raisonner, vous nourrissez la crise.  Si vous haussez le ton, il criera plus fort, sans compter que vous risquez aussi de l’effrayer. Rester à proximité, essayez de garder votre calme et d’attendre qu’il soit plus calme. Ensuite, vous pouvez le serrer contre vous et le faire parler de ce qui l’a mis en colère. Il est important d’aider l’enfant à reconnaître l’émotion et à la nommer.

Seul l’adulte, dans sa présence réconfortante, va être dans la capacité d’aider l’enfant à réguler ses émotions. 

Toutefois, la vie de parent n’est pas toujours facile et il arrive qu’on perde patience. Si vous sentez la colère monter, le mieux est de vous retirer un moment avant d’exploser (en vous assurant que votre enfant est en sécurité). Sinon, vous risqueriez de le déstabiliser et de l’effrayer, en plus de lui faire vivre de l’insécurité
Que faire, par contre, si vous vous êtes vraiment mis en colère? Il est souhaitable de vous excuser auprès de votre enfant et de reparler brièvement de ce qui s’est passé. Par exemple : « Je me suis trop fâché tout à l’heure. Je n’aurais pas dû crier. J’aurais dû respirer avant de parler, je suis désolé. Je vais faire un effort pour éviter de crier. » En agissant ainsi, vous devenez un modèle, car vous lui montrez comment se comporter quand on blesse quelqu’un. 

L’importance des limites pour l’enfant

Une stratégie pour diminuer vos accès de colère consiste à donner des limites claires et constantes à votre tout-petit. Si vous manquez de constance dans l’application de limites ou si vous n’en donnez pas, votre réaction au comportement de votre enfant peut varier selon votre état du moment. Quand vous êtes en forme, vous le laissez sauter sur le divan sans rien dire. Mais la journée où vous êtes fatigué ou de mauvaise humeur, vous vous emportez contre lui. L’enfant ne comprend plus rien et cela devient insécurisant pour lui.  C’est pourquoi il vaut mieux appliquer des limites claires et constantes en tout temps.  Les limites lui procurent une sorte de mode d’emploi de ce qu’il peut faire.

Cela le sécurise. 

Docteur Victoria Dumont