Interview de Jean Epstein : Jouer dehors – Explorer la nature

Les activités extérieures sont importantes et elles favorisent le développement des enfants. Jean Epstein, pédagogue reconnu depuis plus de 50ans, nous en dit encore plus.

Bonjour Jean Epstein

J’ai le plaisir de vous interviewer aujourd’hui sur votre dernier livre « Jouer dehors – Explorer la nature- Pourquoi ? – Comment ? »

Tout d’abord comment, ou plutôt pourquoi, avez-vous choisi le sujet et le titre de ce livre ?

Il y a plusieurs années, j’ai participé à des études sur les origines des violences chez les jeunes. Nous avons interviewés 1500 jeunes pendant 4 ans et les observations ont amené à distinguer huit causes

distinctes qui étaient en lien avec une carence ou un déficit. La non acquisition de la notion de vivant et de mort a été une cause identifiée. Cette notion de vivant est directement liée à l’espace extérieur et donc à l’importance pour un enfant de jouer dehors, et d’explorer la nature.

Y-a-t-il d’autres pédagogues qui préconisent la nature comme une priorité dans l’éducation des enfants ?

Beaucoup de pédagogues pour qui la nature est centrale seraient à citer, et certains sont très célèbres. Je pense en particulier à Maria Montessori en Italie, ou Rudolf Steiner en Autriche. ils ont adopté tous les deux le même outil dans leur pédagogie : la table des saisons. A chaque saison, les enfants amènent des éléments de la nature sur la table, et leurs jeux qui se construisaient avec ces éléments, leur donnaient une compréhension de la relation avec la nature, avec le temps et les saisons. C’était déjà une approche écologique où depuis l’enfance les petits apprenaient et comprenaient que l’on ne peut pas manger n’importe quoi n’importe quand, ou pour le dire différemment : qu’on ne mange pas de fraises en hiver !

J’aimerais également citer Célestin Freinet à Saint-Paul-de-Vence. Il gérait une classe d’enfants, et tous les matins ils allaient en forêt ou dans des jardins, et ils expérimentaient des émotions, des ressentis … et la classe travaillait l’après-midi sur toutes ces données en les transcrivant dans un cahier et dans des exercices littéraires où d’ailleurs l’imprimerie a joué un rôle dans le journal qu’ils publiaient.

Et y-a-t-il des pédagogues qui sont contre cette approche ?

Dans un paradoxe terrible, deux autres mouvements agissent dans les milieux éducatifs et chez certains parents : l’hygiénisme et le « risque zéro ». Si l’hygiène est importante, l’hygiénisme poussé à l’extrême peut conduire à la peur de manger de la terre, ou de se salir dans un environnement extérieur. De même, si les risques doivent être calculés dans la vie dans la nature, le « risque zéro » peut conduire à des attitudes de craintes qui empêcheront les enfants de profiter de l’environnement offert par la nature.

Dans la nature et les jeux extérieurs, pouvez-vous nous expliquer quels sont les outils qui aident les enfants, de façon ludique, à construire les repères fondamentaux ? Et quels sont ces repères ?

En tant que psycho-sociologue mon but est faire des recherches qui seront ensuite mises en pratiques dans l’action. Les recherches neuroscientifiques mettent en avant deux choses.

1- Le développement d’un enfant est précoce.

Le développement d’un enfant commence très tôt, en particulier dans le développement socio-sensoriel. Catherine Dolto nous explique par exemple que l’haptonomie peut être pratiquée dès le début de la grossesse.

2- Le développement est global.

L’enfant apprend à situer son corps dans l’espace. Dans la nature, on écoute par exemple un oiseau qui chante dans un arbre. La question « Où est l’oiseau ? » relève du repérage phono-spatial car le son permet à l’enfant de situer son corps dans l’espace. Quand il a vu l’oiseau, l’enfant montre avec son doigt l’oiseau à ses amis? Et par cette ligne virtuelle, tous les enfants voient ainsi l’oiseau.

Beaucoup d’enfants ont des problèmes de géométrie et ont du mal à fixer leur corps dans l’espace. A 2 ou 3 ans, dans un cadre naturel, les enfants font de la géométrie dans l’espace et peuvent progresser.

Cette notion de développement global peut aussi être illustrée par d’autres travaux comme ceux du Professeur Jacques Puisais qui met l’accent sur le lien entre le goût et le langage. Les enfants qui goûtent différentes choses, qui expérimentent un plaisir des papilles, ont un goût pour l’oral, et inversement.

Et pourquoi nous rappelez-vous dans votre livre l’importance de l’éveil des 5 sens ?

Les cinq sens sont au centre de tous les apprentissages. Je viens de l’évoquer en mentionnant le lien entre le goût et le langage, mais c’est encore vrai avec les différentes langues avec leurs différents spectres auditifs et les différentes musiques de tous les pays. Beaucoup de musiques sont centrées sur la langue. La chanson « La mer » de Charles Trenet est un bon exemple d’un texte qui colle à la langue française.

Un bébé entend beaucoup plus d’ultrasons et d’infrasons que nous. Inversement si l’enfant entend des musiques très tôt, il bénéficiera d’un spectre plus large. C’est particulièrement le cas pour les musiques orientales, russes et slaves qui offrent plus d’aigus et de graves. Ces facultés permettront aux enfants d’avoir des facilités pour apprendre les langues étrangères et leur donnera une ouverture plus grande aux différentes cultures.

En tant que parents, comment pouvons-nous aider les enfants à se servir de leurs sens dans la nature et les jeux ?

Célestin Freinet et Maria Montessori faisaient des « chasses aux sons » dans la nature pour développer l’oreille des enfants. C’est une activité que tous les parents peuvent proposer à leurs enfants.

Le monde sensoriel et relationnel est dans le vivant. Nous pouvons jouer dehors, c’est-à-dire jouer dans la nature, mais aussi dans un jardin, un jardin public, dans un jardin potager et … en prendre soin. Là encore, c’est la notion de vivant qui est en jeu, et la notion de projet : l’enfant fait quelque chose maintenant, pour quelque chose qui n’arrive qu’après.

Un autre exemple d’activité peut être emprunté au passé. Dans les crèches, on préparait le repas avec les enfants qui apprenait à reconnaitre les aliments et comment ils pouvaient être associés et cuisinés. On emmenait aussi certains enfants au marché. Les enfants apprenaient à connaître et reconnaitre les différents poissons, légumes, fruits … Dans ces activités, il est important de commenter à l’enfant ce que l’on voie et découvre.

Une autre activité est aussi bien sûr relative au plaisir d’écouter de la musique. Dans le sport de compétition comme le cyclisme, le cycliste n’a pas le droit d’écouter de la musique qu’il aime car cela augmente son bien-être. En Juin 2015, la fédération d’athlétisme interdit ainsi l’écoute de musique en compétition car la musique favorise la création d’endorphines et cela est considéré par la fédération comme du dopage.

Indépendamment de cet exemple emprunté au domaine de la compétition, invitons nos enfants à goûter au plaisir d’écouter qui augmente les endorphines et leur bien-être. Il est également à noter que les enfants qui entendent de la musique ont beaucoup moins d’agressivité.

S’il est souvent mentionné que jouer dehors procure du travail en plus aux parents, éducateurs … car il faut habiller les enfants, les chausser … mais ce temps investi constitue un énorme gain en terme de gestion de l’énergie et ensuite de sérénité pour l’enfant et l’adulte.

Une autre activité est liée à un des sens qui est le plus inégalement réparti : celui de l’orientation. En forêt, dans la nature, invitons les enfants à trouver le chemin, à mémoriser par où on est passé.

La nature comprend tous les ingrédients dont un enfant a besoin !

Un rappel également à ce qui se faisait il y a 20 à 30 ans dans les pays de l’est et en Suède. Plus il faisait froid, plus les enfants sortaient. Bien couverts, les enfants faisaient la sieste dehors ! C’était une manière de résoudre le problème de rhinopharyngites que subissent les enfants dans des lieux chauffés et fermés.

Enfin un des éléments du vivant est celui des animaux. De plus en plus, les enfants ont des relations avec des animaux virtuels. Cette tendance est renforcée par l’hygiénisme où les animaux peuvent être stigmatisés comme porteurs de maladies. Rappelons-nous que dans les crèches d’antan, il y avait des chiens et des chats. Les animaux font partie de la nature et du cycle de la vie.

Beaucoup d’essais sont faits dans des crèches où les enfants font des visites de ferme pédagogique. Ils y apprennent aussi que le jambon n’est pas une bête qui vit en tranche au supermarché et que le poisson n’est pas que pané : ils y apprennent le réel !