Interview de Domitille Lambert-Wanin

Bonjour Domitille Lambert-Wanin
Nous avons aujourd’hui le plaisir de vous avoir avec nous.
Vous êtes psychologue et vous avez une particularité, c’est que vous travaillez au sein de plusieurs établissements en lien avec le monde des enfants.
Tout d’abord pouvez-vous partager votre parcours professionnel et nous expliquer comment vous en êtes arrivée à travailler avec des établissements en lien avec le monde des enfants ?
Bonjour,
J’ai toujours « baigné dans le monde des enfants » avec une maman directrice d’école. Depuis que je suis jeune, je sais que je veux travailler avec des enfants et suis convaincue de l’importance d’être là pour les accompagner dans cette première partie de leur vie, socle de leur existence. C’est pourquoi j’ai fait des études pour devenir psychologue. J’ai eu une première expérience en tant que psychologue scolaire.
Puis je suis devenue maman et me suis retrouvée « plongée » dans le monde de la Petite Enfance : la maternité, les crèches, les assistantes maternelles, les Lieux d’Accueil Enfants Parents (LAEP) … L’envie d’accompagner les parents sur le chemin de leur parentalité et les professionnels Petite Enfance dans ce travail passionnant et éprouvant devint alors une évidence pour moi. Consciente de la grande responsabilité qu’ont les adultes envers les tout petits (les « allant devenant », F.DOLTO) du fait de leur néoténie, de leur dépendance et des particularités de leur développement avant 3 ans.
C’est ainsi que j’ai commencé à travailler comme accueillante dans un Lieu d’Accueil Enfant Parent et en tant que psychologue en crèche où l’objectif est de penser ensemble un accueil
« prévenant » des tout petits pour que chacun y trouve sa place et qu’il puisse s’épanouir en toute confiance, « se déployer et apprendre en exerçant sa vitalité découvreuse et ludique » (cf. rapport Giampino,2016).
Pourquoi est-il important d’avoir une action dès le plus jeune âge ?
L’être humain se développe tout au long de sa vie, depuis sa naissance et jusqu’à la mort. Dès son développement in utero, les sens du fœtus se développent, sont aux aguets et sollicités. Nous sommes des êtres de relations, avec les autres et avec nous-même. Aussi, les tout petits ont besoin des adultes pour mieux digérer/intégrer ce qui se passe en eux. Et cela commence dès la naissance :
Parce qu’ils sont en pleine construction d’eux-mêmes et que chacun a besoin pour cela :
. que les informations viennent de leurs différents sens et de leur corps en mouvement pour comprendre et apprendre
. de notre regard pour se sentir exister et rassuré, sentir que notre attention se porte sur ce qu’ils vivent, ressentent, expriment (et ce bien avant les mots).
. d’être en relation pour petit à petit s’ajuster et trouver quelle place occuper dans le monde.

Comment le cadre d’une crèche ou de Relais Petite Enfance peut-il favoriser votre action ?
En crèche, en lien avec les professionnels je travaille auprès des enfants. J’accompagne les personnels au plus près de leur pratique professionnelle, de leur travail au quotidien auprès des enfants grâce à des temps d’observation, de réflexion, des échanges, et la préparation des journées pédagogiques … Nous réfléchissons, entre autres, aux différentes propositions ludiques qui pourraient être proposées aux enfants pour répondre à leurs besoins.
Au sein du Relais Petite Enfance, en coanimation avec une éducatrice de jeunes enfants et une puéricultrice sage-femme, je propose aux futurs parents puis aux nouveaux parents un espace de parole, d’échanges autour de leurs questionnements, leur doutes et leurs envies. Ainsi ils savent qu’ils ne sont pas seuls et qu’il y a des lieux et des personnes ressources à proximité (RPE, un Lieu d’Accueil Enfant Parent, PMI…).
La période de la grossesse souvent centrée sur le côté souvent médical peut laisser peu de place à l’expression des ressentis, des doutes, des émotions … Cela peut être un moment de vulnérabilité avec la reconnaissance des symptômes du premier trimestre, un décalage culturel, des craintes, une surinformation provenant des réseaux sociaux, la question des différents modes d’accueil du jeune enfant, un « chamboulement psychique » ….
Après la naissance, je fais un travail d’accueil des mamans, des parents avec leur bébés jusque 3 ou 4 mois. En effet, les mamans restent très peu de temps à la maternité après la naissance et peuvent se retrouver parfois seules à la maison, un peu démunies. C’est l’occasion pour ces parents d’échanger entre eux, de rompre l’isolement, de se rendre compte de questionnements communs autour du sommeil, de l’alimentation, des besoins de l’enfant et de leurs besoins … Sans bien sûr qu’il y ait un mode d’emploi universel, et mon travail est de proposer des ajustements mutuels réguliers, un accordage en fonction de chacune et chacun.
Vous avez participé à l’écriture du livre « Bébés Covid, enfants du confinement » : de quoi s’agit-il ?
Le livre « Bébés Covid, enfants du confinement » est un ouvrage collectif qui témoigne de la nécessité de prendre en compte les sciences humaines et sociales lors de la gestion de crises et notamment du rôle des psychologues. Ce rôle se situe à différents niveaux : dans la clinique auprès des patients de différentes institutions (PMI, les hôpitaux, les crèches …) dans la réflexion et l’analyse des vécus mais aussi comme force de proposition. C’est un livre comme «lanceur d’alerte» qui « revisite » la traversée de la pandémie de Covid 19 du point de vue des familles, des enfants, des professionnels, des institutions et de la société à travers de nombreux témoignages. Il est important pour ne pas oublier et pour bénéficier de l’expérience du passé lors de prochaines crises.
Quels sont les enjeux dont vous pouvez témoigner et qui touchent les enfants jusqu’à environ leur 3 ans ?
Les enfants ont toujours soif de découvrir, ils sont curieux et s’émerveillent. Ce sont les expériences sensorielles et motrices qui, au début de leur existence, leur permettent d’analyser et de comprendre le monde qui les entoure. Ils sont des « guetteurs capteurs » et ne demandent qu’à explorer.
Une fois que les conditions de leur environnement sont propices tout d’abord à ce qu’ils se sentent sécurisés, ils sont alors avides de découvrir. Découvrir avec les 5 sens, c’est apprendre avec tout son être. Nous savons que c’est dès le plus jeune âge que le cerveau est le plus réactif à la découverte et que la stimulation des sens permet le développement du cerveau, du langage, de la mémoire, l’apprentissage, la curiosité et de l’empathie.
C’est en s’habituant à porter son attention sur une information sensorielle, qu’on entraine la
concentration, suscite la curiosité, et incite au partage avec les autres, à l’attention aux autres, à la rencontre avec la différence. Favoriser par exemple l’éveil olfactif dès le plus jeune âge permet aussi d’appréhender l’alimentation autrement.
Se rendre compte de la nécessité des expériences sensorielles et motrices pour le développement des petits est un atout pour les petits d’aujourd’hui.



