Interview de Cécile MELLARDI – 2e partie

Bonjour Cécile MELLARDI.
Vous êtes harpiste. Aujourd’hui vous intervenez également … dans une pouponnière d’Ile de France.
Pourquoi recommanderiez-vous l’importance de la musique
dès le plus jeune âge ?
Il me semble que l’accès à la musique est une chance. Je ne me substituerai pas aux recherches en neurosciences qui ne tarissent pas d’éloges sur l’importance de la musique. Langage universel accessible dès le début de la vie, elle permet à toute personne de vivre un moment intérieur et intime unique avec ce que la musique va lui raconter.
De façon générale, elle touche différents domaines du développement de l’enfant en ayant de nombreux effets positifs :
- Expression et régulation émotionnelle : on voit l’impact sur la créativité. La musique stimule l’imaginaire (une invitation au rêve) et agit sur l’état physiologique suscitant détente ou tonicité.
- Moyen de stimulation corporelle et cognitive : le son fait vibrer le corps, le rythme peut mettre en mouvement, les mélodies ou les chansons incitent à chanter. Tout cela peut aider au langage, à la motricité, développe la mémorisation, l’attention.
- Transmission de la culture, de l’Art, et renforcement du lien social : écouter ou jouer de la musique à plusieurs relie un groupe, permet un moment commun collectif, durant lequel tous écoutent ou jouent (chantent) ensemble. Il y a un langage commun, une écoute commune. Ce sont de rares expériences de vie.
J’ajouterai que jouer d’un instrument, ou chanter procure les mêmes vertus de façon plus ample : on met en œuvre des actions (gestes) volontaires, organisées au service d’une « œuvre » … Les acquisitions nécessaires sont multiples (écoute, intégration par répétition du geste, de la mélodie, en « s’accordant » à plusieurs, mémorisation …) .
Si l’on va plus loin, on voit que l’apprentissage va reposer sur différentes capacités d’attention, sur un engagement actif (effort, régulation émotionnelle …), des capacités d’évaluation (comparer, comprendre une « erreur » …), et l’automation qui permet de « jouer » avec aisance.

Puisque vous travaillez à la pouponnière avec une équipe constituée d’auxiliaires de puériculture, d’éducatrices, de psychologue : de quel retour du terrain ces professionnelles peuvent-elle témoigner et comment identifient-elles au quotidien l’impact de vos interventions ?
Nous sommes 2 musiciennes (alto et harpe) à intervenir chaque semaine en alternance pour les 0-3 ans répartis en un groupe de 0-1 an, et en deux groupes de 1-3 ans. Durant chaque séance de 30’, on joue différentes musiques et on chante des comptines. Parfois les plus grands viennent toucher l’instrument et jouer. Je vous livre ci-après les propos échangés en équipe :
« C’est vraiment un moment hors du temps où chacun (petits et adultes) est disponible : il y a davantage de contact avec les bébés qui sont plus détendus. Le personnel peut l’observer et l’apprécier. C’est un moment particulier pour les enfants. La régularité des interventions crée aussi du lien, un ancrage et les met en confiance. Ce moment permet une rupture dans le rythme collectif, qui permet aux tout-petits d’être en lien avec leur propre intimité. C’est un vrai moment privilégié de découverte de soi-même par un étroit lien avec soi et ses émotions. Les enfants peuvent découvrir, vivre une dimension intime qui est essentielle, et accueillir leur dimension émotionnelle. Ce moment suspendu met en pause ce que leur corps impose pour écouter la musique. Par exemple, quand ils sont fiévreux, ils arrêtent d’être grognons, ils savent attendre le repas, les différents pleurs des nourrissons s’apaisent … Comme si la musique faisait « pansement » et leur permettait de se « contenir », tout en les enveloppant agréablement.
C’est un temps suspendu pour chaque groupe où il y a à la fois une écoute individuelle et une dynamique ENSEMBLE.
Pour les tout-petits, la capacité d’attention est incroyable durant toute la séance. Ils sont installés en arc de cercle, comme à un spectacle, et c’est déjà un ancrage. C’est un temps privilégié car la captation est totale même sur les enfants hypertendus. La musique suscite l’écoute, le lien, les gazouillis… Ils essaient leur voix. Dès que la musique s’arrête, certains râlent, et s’agitent jusqu’au moment où la musique reprend. Après le moment musical, le repas est plus paisible … Ceux qui ont faim attendent plus calmement.
Pour les plus grands, la musique leur procure un moment calme, apaisé où ils sont posés, ou parfois les font entrer dans plus de motricité. Les comptines les stimulent énormément au niveau du langage, du chant, de la mémoire… Il s’agit d’oser chanter, oser faire entendre sa voix, reconnaître un air connu, de taper dans les mains, danser parfois, venir toucher l’instrument calmement, chacun son tour, ressentir la vibration et l’accueillir … Ils prennent peu à peu confiance et se laissent toucher.
Il y a eu un atelier peinture avec la musique, et il semblait que les enfants étaient beaucoup plus « concentrés » : la peinture était plus colorée, et la feuille remplie plus harmonieusement.
Il y a également prolongation du calme au-delà du moment musical. Le moment du repas semble plus calme après les séances. »

Il a été également remarqué que nos interventions musicales en présentiel avaient un plus grand effet que l’écoute d’un CD … Ce par le timbre des instruments joués en direct , l’énergie musicale du moment, le contact avec nous, nos regards, notre voix …
Et pour compléter, voici une observation de la psychologue qui relate ce qu’elle a vu, lors des interventions. « Nicolas (prénom modifié), bébé de quelques mois, semblait « inaccessible » dans la relation, il ne se laissait pas aller. Les moments musicaux lui ont permis peu à peu d’être en confiance, d’évoluer pour enfin être lui-même dans une relation, en s’autorisant à se laisser aller, en osant le contact. La musique lui permet de ressentir des choses, d’entrer vraiment en relation, et d’être accessible.»
Ces interventions font sens dans la vie de cette pouponnière pour le développement de ces bébés, et deviennent un rendez-vous incontournable pour tous.
La musique a bien la vertu d’adoucir les mœurs, et permet d’apporter un peu d’harmonie en chacun !

Pour lire la première partie de l’interview, cliquez ici


