Interview de Brice Bathellier
Motivée par l’article : Renard et al (2022) Olfactory modulation of barrel cortex activity during active whisking and passive whisker stimulation. Nature Communications, 13, 1 ; 3830 ; DOI : 10.1038/s41467-022-31565-0
Modulation olfactive de l’activité du cortex baril
Bonjour Brice Bathelier,
Quelques mots de présentation vous concernant :
Vous avez étudié la physique à l’Ecole Normale Supérieure de Paris, puis vous avez décidé de vous intéresser encore plus aux neurosciences en commençant à travailler sur la modélisation informatique des réseaux de neurones.
Au cours de votre doctorat au Brain and Mind Institute de l’EPFL (à Lausanne), vous avez commencé à combiner des modèles théoriques et des enregistrements électrophysiologiques in vivo, en vous concentrant sur le traitement de l’information et la dynamique des réseaux dans le bulbe olfactif.
Après un post-doctorat au laboratoire Rumpel de l’Institut de Pathologie Moléculaire (à Vienne), où vous avez exploré avec l’imagerie calcique biphotonique la dynamique non linéaire du cortex auditif, vous avez créé en 2013 votre propre laboratoire au sein de l’unité UNIC CNRS, qui a ensuite rejoint l’Institut des Neurosciences Paris Saclay.
Vous avez intégré en 2020 le nouvel Institut de l’Audition, le Centre de recherche de l’Institut Pasteur.
Enfin, toujours pour conclure cette courte présentation, j’ai noté que vos principaux intérêts sont relatifs aux principes de la perception auditive, le traitement multisensoriel et l’apprentissage biologique.
Suite à la parution de l’article « Modulation olfactive de l’activité du cortex à barillet pendant l’exploration active et la stimulation passive des vibrisses », pouvez-vous nous en dire plus sur l’élaboration des percepts sensoriels par le cerveau ?
L’élaboration des préceptes sensoriels par le cerveau repose sur des zones du cortex (la « matière grise », à la surface du cerveau), que l’on peut considérer comme des canaux spécialisés, des cortex primaires, chacun traitant une modalité sensorielle (vision, audition, toucher, olfaction, gustation, proprioception). Cependant, il est rare qu’un seul sens soit impliqué dans nos sensations. Pour y faire face, il existe d’une part des liaisons nerveuses entre ces centres spécialisés et, d’autre part, des aires supérieures dites « associatives » intégrant les informations qui en proviennent. Elles sont responsables des fonctions cognitives et exécutives de haut niveau comme la mémoire, le langage ou la planification. Dans l’espèce humaine, 75% du cortex, notamment dans les lobes frontaux et pariétaux, sont dédiés à ces aires associatives qui portent notre représentation du monde et de nous-mêmes.
Le mécanisme général de la perception multisensorielle s’appuie donc sur l’intégration des différents messages dans les cortex associatifs. Mais qu’en est-il de l’influence d’un sens sur l’autre ? En d’autres termes, outre l’intégration montante (bottom up) opérée vers les aires associatives, suivie d’un éventuel rétrocontrôle descendant (top down), existe-t-il des « courts-circuits » permettant un traitement plus rapide ou plus optimisé ?
Comment pourrions-nous définir l’originalité du travail de votre équipe ?
L’originalité du travail de mon équipe est d’avoir trouvé, dans le cortex somato-sensoriel de la souris (cortex tactile), des neurones répondant à la stimulation olfactive. C’est-à-dire que le canal dédié au toucher est « infiltré » par des « taupes » olfactives. C’est peut-être une particularité des rongeurs. En effet, ces animaux nocturnes utilisent largement leur odorat et leurs vibrisses (les « moustaches » ; whiskers en anglais, d’où whisking dans le titre) pour explorer l’environnement. Les vibrisses constituent de véritables « doigts ». Elles sont dotées d’une grande sensibilité, en rapport avec la large surface qui leur est consacrée dans le cortex somato-sensoriel (barrel cortex dans le titre). Comme les moustaches, le nez est à l’avant-poste de l’animal et une coordination entre les deux sens a sans doute été sélectionnée pour une exploration rapide de l’environnement, de la nourriture et des congénères. Et c’est bien ce que les chercheurs ont montré. Certains neurones du cortex, sensibles uniquement à la stimulation des vibrisses, voient leur réponse augmentée ou diminuée en présence d’odorant.
Des modulations inter-sensorielles avaient déjà été trouvées chez l’animal entre audition et vision : dans ce cas, le son souligne l’apparition d’un objet dans le champ visuel. Olfaction-toucher ou vision-audition, ces processus permettent l’intégration des messages bi-sensoriels dès le niveau des cortex primaires, avant même de passer aux aires associatives. Le résultat serait une meilleure détection des coïncidences multisensorielles, favorisant une reconnaissance et une réponse rapides, et éventuellement un meilleur apprentissage à plus long terme.
Enfin, est-ce que des mécanismes semblables existent également chez l’homme ?
On ne sait pas si te tels mécanismes existent chez l’homme mais on connaît les synesthésies, dans lesquelles un ou plusieurs sens sont associés. La plus répandue semble être de voir les lettres de l’alphabet en couleur. Elle résulterait peut-être d’un élagage incomplet des communications entre la zone corticale de la vision des couleurs et celle des caractères. Cet élagage se produit normalement dans la petite enfance. Il dépend de l’expérience et favorise la performance des circuits. En tout cas, les bébés humains, même si l’influx nerveux se propage plus lentement dans leur cerveau, sont déjà capables de détecter ces congruences et d’en tirer des leçons pour soutenir leur curiosité et aborder des apprentissages ultérieurs.