Interview avec Ann Avril, Directrice générale de l’UNICEF France
Bonjour Ann Avril, vous êtes Directrice générale de l’UNICEF France depuis 2021. Quelles sont les missions de l’UNICEF ?
Les missions de l’UNICEF sont de promouvoir, défendre et faire appliquer les droits de l’enfant au sein de 190 pays et territoires. Pour cela, nous nous appuyons sur la Convention internationale des droits de l’enfant, que presque tous les États ont ratifiée. Nos missions se concentrent plus concrètement sur la santé de l’enfant, l’éducation et sa protection, mais également sur la participation, l’égalité et l’inclusion. Nous développons avec les gouvernements et la société civile des programmes de santé, de vaccination, d’accès à l’école, à l’eau potable et à l’assainissement. Nous œuvrons également à protéger les enfants qui sont victimes de conflits, de violence ou d’exploitation.
Quels sont d’après-vous les grands enjeux de la petite enfance et de l’enfance en France aujourd’hui ?
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D’abord les enjeux sont bien plus nombreux qu’ils ne devraient l’être dans un pays comme le nôtre.
Evidemment trois me viennent à l’esprit.
Celui de la pauvreté infantile qui ne cesse de croitre. Plus de 42000 enfants n’ont pas de domicile fixe et près de 2000 d’entre eux dorment dans la rue chaque nuit. La plupart de nos grandes villes abritent des bidonvilles où même l’accès à l’eau est parfois une gageure. Je ne parle même pas des territoires ultra marins où grandir en bonne santé est un défi presque quotidien pour une majorité des enfants.
Le second, il s’agit de la protection. Les moyens dédiés sont insuffisants et insuffisamment valorisés. De nombreux mineurs non accompagnés ne sont pas pris en charge lorsqu’on les suspecte d’être adultes. Mayotte concentre une immense majorité des enfants détenus dans des centres de rétention dans des conditions déjà inhumaines pour les adultes.
Enfin, la crise des apprentissages s’est accélérée après le COVID et a révélé d’immenses failles dans notre système éducatif. Pourtant investir dans la jeunesse, c’est indispensable.
Quels sont les leviers et les obstacles à l’épanouissement des enfants, qui sont une priorité de votre organisation ?
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Les principaux leviers sont toujours de réunir toutes les parties prenantes pour qu’elles s’accordent à travailler dans le bon sens. Les pouvoirs publics, société civile, parents et les enfants eux-mêmes. Ils portent beaucoup de solutions et ne demandent qu’à être écoutés. Chacun contribue : les gouvernements donnent à la fois un cadre législatif, définissent des politiques encourageantes et allouent des moyens conséquent. Les associations déploient, alertent, les parents s’engagent et les enfants participent. De fait les obstacles majeurs sont les difficultés à faire travailler tout le monde dans le même sens et pour le meilleur intérêt de l’enfant. L’UNICEF est généralement bien accueilli et entendu. Malheureusement, dès qu’il faut mettre en place les moyens ou un cadre législatif et l’appliquer, nous nous heurtons à des murs. Le défi est donc de les surmonter.
Vous avez déclaré être « animée par cette conviction que l’enfance porte les solutions du futur ». Nous aussi ! Quels sont à vos yeux les bienfaits possibles d’un investissement dans la petite enfance ?
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Investir dans un enfant, c’est se garantir des meilleures chances d’assurer un meilleur avenir pour eux, et pour nous. Une jeunesse qui va mal ne peut porter de valeur, de richesses, ni même de changement à un pays. Contre le dérèglement climatique nous avons été aveugles et maintenant nous sommes impuissants, alors écoutons la jeunesse.
Chaque jour, j’ai la chance immense de rencontrer des personnes, des scientifiques, des jeunes et des chefs d’entreprise. Ils sont convaincus que l’on peut inverser cette sorte de déterminisme en remettant l’enfance et la jeunesse au cœur de nos préoccupations. De plus, la science continue à progresser pour les enfants : sciences cognitives, vaccins, traitements. C’est aussi une source d’optimisme de me dire que tant d’adultes consacrent leur vie aux enfants et aux générations futures.
Quelle est votre approche, personnelle ou à l’UNICEF de la multi sensorialité chez le jeune enfant ?
J’ai d’abord eu la chance de voir grandir mes enfants (jumeaux) un peu plus longtemps que la moyenne. J’ai pu rester 6 mois auprès d’eux et de m’émerveiller chaque jour de leur développement. Chacun à leur rythme, ne réagissant pas au même rythme, ni aux mêmes signaux. L’UNICEF est d’ailleurs partenaire depuis très longtemps de l’Initiative Hôpitaux Amis des Bébés (IHAB) qui promeut une parentalité différente, même avant l’accouchement.
A l’UNICEF évidemment nous encourageons toutes les pratiques innovantes, y compris dans des pays où l’on n’imaginerait pas que ce soit une priorité. Je repense à ce père dont j’ai croisé le regard il y a une dizaine d’années en néonatologie dans l’hôpital de Port au Prince. Il collait son nourrisson contre son torse pour appliquer la méthode Kangourou (le peau à peau). La mère était décédée en couches… J’ai vu de nombreux enfants s’épanouir ou se reconstruire grâce à des stimulations visuelles ou auditives. Même dans les situations les plus précaires, il faut être à l’écoute de son enfant et de ce qu’il ressent. Les sens sont là pour cela. Dans l’apprentissage des sens, l’intelligence de situation des enfants est prodigieuse et est une inépuisable source d’inspiration.
Merci beaucoup, et je vous souhaite beaucoup de succès dans les nombreux projets que vous défendez.
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