Entretien avec Sylvie Rayna, auteure du livre « les bébés au musée »
Docteur Sylvie Rayna, bonjour
Vous êtes chercheure en sciences de l’éducation, associée au laboratoire EXPERICE de l’Université Sorbonne Paris Nord. Psychologue de l’éducation de la petite enfance, vous avez publié de nombreux livres sur la petite enfance. Les politiques, les pratiques éducatives et culturelles et bien sûr le développement des plus jeunes enfants.
Quel que soit la saison, la visite d’un musée reste d’actualité. C’est pourquoi aujourd’hui, j’aimerais vous interviewer sur votre ouvrage « Les Bébés aux musées, pourquoi, comment ? », paru le 17 novembre 2022 aux éditions « érès ». C’est le premier ouvrage consacré à ce sujet des tout-petits dans les musées.
Tout d’abord, pour reprendre le titre de votre livre… Pourquoi avez-vous choisi ce sujet ?
Justement parce que nous manquions de publications sur ce sujet, alors que des expériences se développaient ici et là. Pour faire un premier point, sans chercher à établir un catalogue d’actions mais en pénétrant au cœur de quelques expériences. En mettant aussi en visibilité différents paramètres. Leur construction, les collaborations, les vécus des enfants et des adultes au cours des rencontres sensibles. Mais aussi les effets sur les pratiques des musées, des familles et des structures de la petite enfance.
Et cela, pour susciter d’autres initiatives, donner envie, partager des démarches gagnantes, parce que trop de familles ne se sentent pas légitimes dans les musées (les inégalités culturelles n’ont pas cessé d’augmenter). Alors que les musées, les structures de la petite enfance et les familles s’en trouvent enrichis. De nombreuses publications (aux éditions érès) documentent d’autres actions d’éveil culturel : lecture, musique, spectacle vivant… que soutiennent les politiques interministérielles à l’adresse des tout-petits, ce livre ouvre le nouveau des musées (un second opus paraîtra l’´an prochain avec d’autres expériences françaises mais aussi italiennes).
Ensuite, comment avez-vous procédé pour identifier et analyser ce qui se passe quand les enfants rentrent dans les musées ?
Et bien en sollicitant les équipes de musées et de structures petites enfance que j’avais préalablement invitées à intervenir à diverses journées d’étude. Par exemple, Nathalie Gossiaux ou Fanny Lejay des musées Picasso d’Antibes et Bonnard du Cannet, ou encore des binômes musée – petite enfance. Citons Isabelle Facoltoso et Marion Bouteiller pour Montpellier et le musée Fabre, ou Marlène Delmas et Floriane Berdah pour Cagnes-sur-Mer et ses 2 musées. Sans oublier les centres dédiés à la petite enfance, comme le centre d’art mille formes (0-6 ans) de Clermont-Ferrand et le Lab de la cité des bébés (0-2 ans) à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris. Et en leur demandant de développer leurs analyses au regard des objectifs du livre que je viens d’évoquer.
C’est, du reste, de la même façon que j’ai procédé avec le second ouvrage (à paraître) avec, par exemple, l’expérience de la petite enfance de Bordeaux avec cinq musées ou de celle de Douai avec le musée de La Chartreuse, ou les initiatives de structures de la petite enfance de Pistoia (Toscane) ou de Cap d’Ail ou encore d’artistes comme à Carros, Beauvais ou Grasse. Le croisement des regards des experts des tout-petits, des musées et des arts apporte toute la richesse des analyses, en parlent à tous les lecteurs, parents, professionnels de la petite enfance et de la culture, étudiants, formateurs.
Quelles problématiques doivent être solutionnées et là encore comment ? Et quels sont les impacts positifs pour un enfant ?
L’accessibilité à tous dès le plus jeune âge, là est le défi. Tous les enfants ont les mêmes droits culturels. Il y a encore beaucoup à faire ! C’est devenu une question de « santé culturelle », selon le rapport de Sophie Marinopoulos. Beaucoup de musées souhaitent être plus inclusifs et s’ouvrir davantage mais n’ont que l’expérience de l’accueil des « scolaires ». Cela ne s’applique en aucun cas à celui des plus jeunes. Là beaucoup reste à inventer et cela, dans la collaboration de personnels des musées, de la petite enfance et des artistes. La créativité des différents protagonistes est là dans les expériences présentées dans ce livre et le prochain.
Cela donne des bases, des pistes pour oser ailleurs ! Du côté des bébés, tous sont prêts à l’aventure, tous témoignent d’une belle attention esthétique, ils aiment le beau ! Ils sont heureux de s’émerveiller, de jouer, de créer dans les musées, dans une atmosphère tranquille, apaisante, sous le regard d’adultes disponibles et eux-mêmes émus, loin du bruit extérieur … de la tentation des écrans !!!! Souvent les tout-petits se montrent sous un nouveau jour. Dans ces lieux nouveaux pour eux et épatent leurs accompagnateurs, y compris des enfants en situation de lourds handicaps. Ces bulles de bien-être partagé amènent par la suite des nouveautés du côté musées comme du côté des structures de la petite enfance, et des familles (à condition de répéter l’expérience) : un cercle vertueux, des aventures qui ont des prolongements…
Aujourd’hui quelles prises en compte des jeunes enfants sont proposées par les musées ? Et par quels types de musées ?
Il n’y a pas de type particulier de musée : musées des beaux-arts, d’art contemporain, des arts décoratifs, muséums de sciences naturelles, mais aussi musée du parfum et bien d’autres encore…, tous montrent que c’est possible, si la situation est bien pensée (sélection des œuvres, précision du parcours et choix des outils de médiation). Un point important : la proximité du musée et les solutions de transport à trouver pour les musées plus éloignés : si les assistantes maternelles peuvent se déplacer avec leurs propres moyens comme pour toute autre sorties, pour les crèches il faut compter sur la participation de parents, ce qui est une chance par rapport à l’objectif visé : que toutes les familles ensuite osent y retourner.
Y-a-t-il des musées que vous recommanderiez particulièrement ?
Non. Tous ont leurs spécificités, leurs atouts. Ceux où je retourne régulièrement, relèvent de ma sensibilité personnelle, mais suis curieuse et j’en découvre chaque semaine au gré de mes déplacements : de pures merveilles la plupart du temps et où, bien trop souvent, je me trouve seule le matin devant tant de beauté ! Il y a vraiment de la place pour les petits … et pour les grands !
Ce que je peux conseiller là où le lien entre musée et petite enfance n’existe pas encore, c’est que l’un ou l’autre fasse le premier pas vers l’autre. Et bien sûr, au niveau municipal, que les services culture et petite enfance travaillent main dans la main sur ce chantier. Le but est de soutenir les initiatives des terrains et en susciter.
Dans quels pays est-ce que nous assistons à cette démarche ? Et quels sont les pays leaders de cette démarche ?
Les États-Unis ont une tradition ancienne en matière d’ouverture des musées aux enfants. Nombreuses sont les pays engagés aujourd’hui avec les bébés, par exemple les pays scandinaves, la Belgique, l’Australie, le Brésil… Dans le livre, Yannick Le Pape, chercheur au musée d’Orsay, propose un tour d’horizon international (complété dans le second opus).
Enfin pour encourager les parents qui hésitent encore à faire une sortie musée pour leur tout-petit, quels conseils avez-vous ?
N’hésitez pas ! Allez voir ce qui vous plaît à vous, les petits le sentiront et vous guideront. C’est ce que j’observe moi-même très fréquemment. Allez au musée AVEC les tout-petits et non pour eux, partagez vos plaisirs, vos découvertes et les leurs ! Émerveillez vous ensemble !
Par ailleurs, si vous avez d’autres musées qui proposent des activités à faire avec les tout-petits, je suis preneuse ! Mon email : srayna@wanadoo.fr
Merci à vous pour cet échange Sylvie Rayna !