Arnaud Leleu –
« Apprendre à voir avec le nez »
Le rôle de la multisensorialité dans le développement du nourrisson a toujours été débattu dans la communauté scientifique. Les enfants développent-ils chaque sens de manière isolée avant de lier les informations issues de chacun d’eux ? Ou bien l’apprentissage est-il d’abord multisensoriel avant que les sens ne puissent fonctionner indépendamment ?
Dans cette conférence, Arnaud Leleu, enseignant-chercheur à l’Université de Bourgogne, nous dévoile de récents travaux menés dans son laboratoire qui soutiennent la seconde hypothèse.
Le sens de l’odorat : apprendre à voir avec le nez
Ces travaux se sont intéressés à l’influence que peut avoir l’odorat – un sens généralement négligé chez l’être humain, mais qui est pourtant très développé chez le nourrisson – sur le développement de la perception visuelle, encore très immature chez le jeune enfant.
A travers une série d’expériences menées en électroencéphalographie (EEG), technique indolore qui permet de mesurer l’activité électrique du cerveau des nourrissons en temps réel, Arnaud Leleu nous montre comment une odeur corporelle socialement pertinente pour le jeune enfant, l’odeur de sa mère, façonne la manière dont son cerveau apprend à percevoir les visages.
Pour le nourrisson, apprendre à percevoir les visages implique que son cerveau apprenne à faire la différence entre les visages et d’autres objets appartenant à des catégories distinctes, mais aussi à regrouper différents visages parfois physiquement très différents au sein d’une même catégorie. C’est ce que l’on appelle la catégorisation des visages.
Pour mesurer cette catégorisation des visages dans le cerveau des nourrissons, ces derniers sont exposés à des séquences rapides d’images représentant de nombreux objets, vivants ou non. Des images de visages variés sont insérées à intervalles réguliers afin d’isoler la réponse cérébrale reflétant leur catégorisation par une approche appelée « étiquetage fréquentiel ».
Le nourrisson reconnaît sa mère par son odeur
Arnaud Leleu présente ainsi plusieurs expériences qui révèlent comment l’odeur de la mère du nourrisson de 4 mois facilite la catégorisation des visages, qu’ils soient naturels (humains) ou illusoires (objets ressemblant à des visages qui entraînent ce que l’on appelle une paréidolie). Il montre également comment l’effet facilitateur de l’odeur maternelle s’atténue progressivement à mesure que le cerveau du nourrisson se développe et a moins de difficultés à catégoriser les visages.
A travers cette conférence, nous apprenons comment un système sensoriel « précoce » comme l’odorat soutient et oriente le développement de la perception visuelle dans les premiers mois de vie, cette interaction entre les sens étant particulièrement forte lorsque le système visuel est immature. Ce travail met ainsi en lumière un mécanisme qui, à partir de l’expérience multisensorielle, permet au nourrisson d’interpréter son environnement et d’asseoir ses premières connaissances.