Interview de Cécile MELLARDI – 1ere partie

Bonjour Cécile MELLARDI.
Vous êtes harpiste. Aujourd’hui vous intervenez également … dans une pouponnière d’Ile de France.
Pouvez-vous nous expliquer votre parcours et les raisons de ce parcours ?
Le parcours a été assez long pour arriver à cette pouponnière ! J’ai commencé la harpe à 9 ans, et j’ai eu la chance d’être dans une école primaire avec des horaires aménagés pour la musique : le matin, il y avait école, et l’après-midi était réservé à la musique. Puis au collège et au lycée, le soir après l’école j’ai poursuivi mon cursus au conservatoire. J’ai beaucoup aimé cette période de ma vie.
Après le baccalauréat, s’est posée la question de l’orientation. Je voulais devenir harpiste et enseigner la harpe, mais ce choix était conditionné par la réussite de concours très difficiles. À l’époque, il y avait très peu de formations et il fallait intégrer l’un des deux Conservatoires Nationaux Supérieurs de Musique et de Danse, l’un à Paris, l’autre à Lyon. La sélection y était – et y est encore – drastique avec peu de places. Tout en suivant des études de psychologie, et en travaillant, j’ai obtenu à 22 ans une place au CNSM de Lyon.
Par cette formation, mon chemin de harpiste s’est ouvert : concerts en musique de chambre, avec chœurs, remplacements en orchestre, divers postes d’enseignements en écoles de musique et en conservatoires se sont ainsi enchainés. Puis afin d’équilibrer au mieux ma vie familiale et professionnelle, j’ai privilégié un poste fixe d’enseignement de la harpe dans un conservatoire tout en ayant le plaisir de jouer pour quelques concerts.
Durant mes études, j’avais d’énormes difficultés à gérer mon trac et à le surmonter. Je voyais cela également chez mes élèves. Cela ne me semblait pas normal de parasiter le plaisir de jouer avec de telles tensions. J’ai alors décidé de compléter mes compétences par une formation de relaxation/ gestion du trac, qui m’a permis d’être davantage en conscience et d’apporter aux élèves un meilleur confort émotionnel.
J’ai par ailleurs toujours été sensible à la réaction des auditeurs après des concerts, mais aussi des parents d’élèves après les prestations de leurs enfants, qui souvent disaient: « Qu’est-ce que c’est beau la harpe ! », « Qu’est-ce que ça calme, c’est harmonieux et gracieux, ça fait rêver… ».
Vous avez lu le livre « Le Pansement Schubert » aux éditions Denoël. Pourquoi ce livre vous a marqué et que pouvez-vous partager sur ce qui a compté pour vous dans la lecture de ce livre ?
Peu à peu s’est imposé à moi, le fait que je jouais d’un instrument particulier, fascinant, au son doux et harmonieux et dont les effets se ressentaient immédiatement sur les auditeurs. En me produisant régulièrement devant des publics plus éloignés, j’ai avancé sur diverses expériences et dans divers lieux : écoles maternelles et élémentaires de réseau prioritaire, médiathèques, relai parents-enfants, hôpital, pour arriver enfin … à la pouponnière !
J’ai lu ce livre avec beaucoup d’émotion… J’étais touchée dès les premières pages.
Claire Oppert, violoncelliste, y relate des moments vécus de son expérience en hôpital pour autistes et en EHPAD en service de soins palliatifs. Elle a titré ce livre « Le pansement Schubert », car elle s’est aperçue avec l’équipe soignante d’un établissement qu’une patiente vivait mieux le changement de pansement (qui lui était très douloureux), en entendant un extrait de trio de Schubert. Il y avait un effet apaisant pour cette dame, mais également pour les soignants qui s’en occupaient. Avec des mots justes, elle nous partage des petits moments de vie dans ces établissements dans lesquels, par la musique, chaque personne se laissait toucher au cœur… les reliant en vérité et simplicité de manière intime à elles-mêmes et à leur émotion. Et de fait, ne cherchant pas à soigner, mais juste à jouer pour offrir de la musique, elle permettait un moment privilégié de rencontre et de partage. Comme elle le dit, elle est musicienne et fait partie de l’équipe de soin.
Cela m’a clairement interpelée sur le fait que la musique possède ce pouvoir de panser, d’apaiser.

Comment pourriez-vous décrire le rôle de la musique de façon générale et aussi, plus précisément, sur les personnes pour lesquelles vous avez pu jouer ?
La musique est un langage universel qui peut être accueilli par tous. Elle vient toucher notre esprit, notre corps, notre cœur. L’enchainement de sons, de silences, entre en résonance avec notre être et procure souvent du plaisir. C’est un plaisir par la vibration des sons, cette onde qui vient nous toucher (que l’on en soit conscient ou pas…) tant corporellement qu’émotionnellement. Les mélodies ou ambiances musicales racontent une histoire… Elles peuvent activer notre imaginaire, permettre de nous évader, de rêver, elles peuvent influencer nos émotions et nous autorisent à nous laisser aller. La musique exprime parfois ce que les mots ne peuvent dire. L’expression musicale n’a pas besoin de passer par l’intellect pour être « comprise », appréciée. C’est un langage vivant qui se transmet directement de cœur à cœur. Il me semble que jouer ou entendre une musique harmonieuse permet d’accueillir davantage d’harmonie en soi. C’est comme si la musique remettait de l’ordre en nous, réharmonisait notre « être intérieur ». On se rend compte par exemple qu’en cas de stress, une musique relaxante permet de se détendre. À l’inverse, une musique stressante, ou disharmonieuse peut nous occasionner tensions et désordres. Je pense que ce qui est vrai pour l’auditeur, l’est aussi pour l’interprète, qui va avoir la responsabilité de créer au mieux la musique. Le musicien peut être comparé au comédien qui interprète une tirade et capte l’auditeur, en sublimant le texte : il va au-delà des simples mots, et permet au spectateur d’accéder à l’émotion de l’auteur. Tel un discours bien déclamé qui vient toucher le public, la musique est également construite avec des phrases, des intentions, des respirations… c’est un discours vivant qui ne laisse pas l’auditeur insensible. L’interprète est le prolongateur de son instrument, il en est la caisse de résonance… Il joue véritablement avec le timbre de l’instrument… Et cela a une incidence sur l’auditeur. En général, le public admet qu’écouter un concert en salle n’a pas le même impact qu’écouter un CD. L’immersion sonore avec les instrumentistes les enveloppe totalement, grâce à la vibration directe des instruments, contrairement à un enregistrement. Il n’est pas difficile de « prouver » avec des études scientifiques, que le son (ondes sonores) a un véritable impact sur les êtres vivants. À cela s’ajoute l’interprétation du moment du musicien… Quelle émotion le traverse quand il joue ? Quelle énergie partage-t-il en jouant ? On est dans l’invisible, mais … c’est bien réel ! Nous sommes des êtres vivants capables de ressentir, de partager des émotions. Parfois il est difficile de les exprimer, de les mettre en mots, ou même tout simplement de prendre le temps de les vivre. Le concert est un moment particulier pour se poser, être à l’écoute et entrer dans le laisser faire.
Un jour, j’ai eu l’occasion d’aller jouer en trio en chambres d’hôpital, au chevet de grands malades. J’ai trouvé cela merveilleux de pouvoir leur offrir un petit moment de musique au pied de leur lit. Ils étaient très réceptifs, et émus car la musique les touchait malgré la douleur, l’extrême fatigue. Cela leur faisait du bien et leur procurait du plaisir … de la vie ! Ils ont été incroyablement reconnaissants.
A la fin de l’après-midi, nous avons joué également pour les soignants. Ils nous ont dit que ça leur redonnait de l’énergie pour la fin de journée, cela leur avait procuré un moment de détente, de ressourcement et ils ont apprécié que l’on s’occupe d’eux.
J’ai eu également d’autres expériences en écoles dans des quartiers sensibles. Je faisais la présentation de la harpe, suivie d’un petit concert. J’ai souvent été accueillie comme une « star » par les nombreux enfants, qui avaient « des étoiles dans les yeux » en voyant et en entendant l’instrument. Souvent intéressés, avides de questions, et désireux d’essayer la harpe, ils étaient très attentifs, à l’écoute de la musique. C’était impressionnant de les voir concentrés (et non dispersés), tous réceptifs, disponibles au moment présent qui leur était offert. Et lors des échanges avec moi, ils adaptaient leur vocabulaire de manière plus fine aux questions musicales et cela stimulait leur langage. Le groupe était fédéré, attentif autour d’un même évènement, certains partageaient leur vécu musical au sein de leur famille… Certains se projetaient futurs musiciens …
Puis, j’ai eu l’occasion d’aller dans cette pouponnière où l’expérience est encore différente puisque la tranche d’âge est de 0 à 3 ans. Et j’ai trouvé très impressionnant de constater la réceptivité des tout-petits.

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